Dark Times Ahead (ft. Willow)

Entre donner son cours d’histoire, faire le suivi des nouveaux arrivants, partir à la rescousse de ceux dans le besoin et s’occuper de ses soucis personnels, Darius avait vraiment peu de temps à consacrer à ses loisirs. Cet après-midi là, il aurait enfin eu un peu de temps pour souffler, pour penser à lui-même après avoir passé la journée à s’occuper des autres… s’il n’y avait pas cette foutue histoire d’enlèvements qui laissait tout le monde à fleur de peau depuis quelques jours.  Malgré ses manières hautaines envers les plus jeunes — et parfois même les plus vieux — le vampire avait bon coeur lorsqu’il s’agissait de prendre soin de l’Institut, et il ne pouvait se permettre de se tourner les pouces lorsque des mutants continuaient de disparaître sans explications. Surtout lorsqu’il s’agissait de quatre membres bien connus au sein de l’Institut, presque tous des protecteurs. Il ne pouvait concevoir qui orchestrait tout cela. Les persécuteurs ? Trask Industries ? Une nouvelle menace ? Cela faisait longtemps que quelque chose ne l’avait pas perturbé à ce point. La disparition de ces quatre mutants ne pouvait être due qu’au hasard, et la possibilité était grande que quelqu’un avait trouvé le moyen de bien cibler l’Institut. Il ne pouvait toujours pas croire que Vaughn et Velkàn, qu’il connaissait bien tous les deux et dont il connaissait les forces, aient été enlevés de cette façon. Rien de tout cela ne faisait de sens.

Un verre de bourbon à la main, il se rendit au salon des professeurs dans le but de se changer les idées avant de retourner surfer sur le web à la recherche d’indices. Même dans son acharnement, le doyen pouvait reconnaître les bienfaits d’une petite pause. Lorsqu’il arriva au salon, il y retrouva Willow, déjà installée sur un divan en train de fixer son téléphone.

“Puis-je ?” demanda-t-il pour annoncer sa présence. Il attendit qu’elle le remarque avant de prendre place en face de celle avec qui il avait participé à une mission de secours récemment. Il garda ensuite le silence, à la fois plongé dans ses pensées et ne voulant pas interrompre ce que Willow semblait lire avec intensité.

Il buvait son bourbon en silence, les yeux rivés vers le plancher, s’efforçant de ne plus penser aux problèmes qui le tourmentaient rien que pour un moment. Portant son attention sur les crépitements du feu dans le foyer du salon mêlés au bruit de la respiration de Willow, c’était comme s’il était entré dans un état méditatif. Cela faisait du bien de se vider la tête, surtout lorsqu’il se sentait sur le point de virer fou avec ces enlèvements pour lesquels il n’y avait aucunes traces.

La voix de la bibliothécaire retentit quelques minutes après qu’il se soit installé sur le divan opposé. Darius leva les yeux et fut surpris de constater l'embarras de Willow quant à la façon dont elle l’avait accueilli plus tôt. “Ce n’est rien, je n’étais pas venu ici pour interrompre tes activités,” la rassura-t-il en secouant la tête. Il pensait ce qu'il disait ; après dix ans à se côtoyer à l’Institut, Willow faisait pratiquement partie de sa famille. Ils pouvaient bien ignorer quelques formalités sans en être offusqués.

“Oh tu sais, la même que d’habitude… Mis à part le fait qu’on perd de nos mutants plutôt que d'en accueillir de nouveaux,” répondit-il avec sarcasme au sujet de sa journée. Mais il préférait ne pas s’étendre là-dessus en cet instant. Ils en avaient déjà assez discuté entre anciens de l’Institut et il était venu ici pour se changer les idées après tout.

“Qu’est-ce que l’oiseau bleu chante ces temps-ci ?” demanda-t-il ensuite en pointant le téléphone du menton, un petit sourire narquois aux lèvres. Willow était sa seule véritable aînée à l’Institut et pourtant elle semblait s’être beaucoup plus accoutumée aux technologies modernes que le vampire.

Darius n’était pas particulièrement familier avec les réseaux sociaux et ne tenait pas à le devenir, mais le monde moderne le forçait à en apprendre un minimum sur leur fonctionnement. Depuis les disparitions, il avait commencé à étendre un peu ses recherches personnelles en se créant un compte Facebook, car il était parfois plus facile de retrouver un nom via ce site que n’importe où ailleurs. Par contre, il ne s’était pas encore attelé à Twitter, une plateforme qu’il avait plus de mal à manoeuvrer intuitivement. Lorsque Willow lui fit part de ses inquiétudes par rapport à ce qu’elle y lisait, le doyen leva un sourcil. “Comment sais-tu qu’il te cherche ? Est-ce qu’il a ton nom ? Ta photo ?” Ce n’est pas qu’il ne la croyait pas, au contraire : si elle avait raison, cela représentait un autre risque pour l’Institut et il fallait s’en occuper. Surtout avec le climat actuel, comme le disait Will.

Mais avant de paniquer — parce qu’ils avaient déjà assez matière à s’inquiéter comme ça — Darius préférait analyser les faits et considérer les autres possibilités. Il connaissait bien Willow, il savait qu’elle n’était pas du genre à s’exposer inutilement. Comment pouvait-elle être traquée de cette façon ? “En plus, ce n’est pas comme si tu sortais d’ici souvent,” fit-il remarquer. L’aînée était peut-être celle qui sortait le moins souvent à l’extérieur… ou du moins, elle avait sa place sur le podium aux côtés de Samara qui elle aussi préférait passer son temps dans le monde virtuel. “Quand était la dernière fois que tu es sortie d’ici sans aller à la ferme ? C’était durant l’incident, non ?” Quelques semaines plus tôt, un affrontement entre le GLM et les persécuteurs s’était produit dans le Bronx et avait engendré plusieurs dégâts collatéraux. Puisque plusieurs hôpitaux plaçaient délibérément les mutants à la fin de la liste d’attente (s’ils ne les refusaient pas carrément), Darius et Willow s’étaient rendus sur les lieux afin d’aider les blessés. Comme d’habitude, le vampire avait pris les mesures nécessaires pour que leur intervention fusse discrète… mais il ne pouvait pas écarter la possibilité d’un témoin mal intentionné.

Darius écouta sans interrompre le récit de Willow qui expliquait en partie pourquoi cette personne la recherchait. “Je vois…” lâcha-t-il lorsqu’elle eut terminé, avant de se plonger dans une brève réflexion quant à cette encombrante situation. Quelles étaient les chances que cet homme déploie autant d’efforts pour retrouver sa sauveuse et ce, plus de quarante ans plus tard, seulement pour la remercier ? Autant celles-ci étaient minces, autant il était difficile pour le doyen d’opter pour l’inaction — surtout lorsqu’il y avait un risque que l’étau se referme peu à peu autour de l’Institut. Si un danger était à l’horizon, il préférait le tacler de plein fouet. “Quelles que soient ses intentions, il faudrait le retrouver avant qu’il ne te trouve,” finit-il par décider. Telle était la méthode du vampire : passer à l’attaque était la meilleure défense. Au mieux, ils s’apercevraient que cet individu n’était qu’un homme lambda prisonnier d’une gratitude non exprimée ; au pire, ils auraient l’occasion de découvrir le piège avant qu’il ne soit trop tard. Cela faisait un dossier de plus à ajouter dans la pile de problèmes qu’ils avaient déjà, mais étrangement, cela ne dérangeait pas Darius autant qu’on le croirait. Pour une fois, la piste semblait tangible, contrairement aux informations qu’ils avaient des enlèvements ou des puces de Trask Industries. “Nous avons l’avantage d’avoir sa trace électronique via son compte Twitter, alors qu’il n’a qu’une vague esquisse de ton visage. Profitons-en,” ajouta-t-il pour convaincre Willow si elle n’était pas déjà du même avis. Il y avait probablement mille et une raisons pour que cet avis de recherche soit un piège, mais Darius prônait la prudence sans paranoïa. Si la situation inquiétait son amie, il préférait qu’ils en aient le cœur net. “As-tu essayé de lui écrire de façon anonyme pour lui demander ce qu’il veut ?” Puisqu’il se faisait tard, ils pouvaient peut-être commencer par là avant de déranger la hackeuse en chef du manoir.

Rien que le petit sourire que lui accorda Willow lorsqu’il suggéra de retracer l’homme à partir du compte Twitter lui fit réaliser qu’il s’était imaginé un scénario beaucoup plus compliqué que nécessaire. Darius avait l’habitude de déléguer les recherches de ce genre à Samara, sans se soucier de la façon dont elle s'y prenait pour obtenir les résultats demandés : il lui donnait un nom ou une description générale, et elle s’exécutait, no questions asked. Mais souvent, le type de personnes qu’il recherchait, comme des mutants en fuite ou des scientifiques de Trask Industries, ne s’étalaient pas autant sur les réseaux sociaux. L’idée que quelqu’un veuille se rendre si facilement retraçable dépassait la compréhension du doyen, pour qui discrétion et sécurité allaient forcément de pair.

Darius observa les traits de l’inconnu alors que Willow lui résumait les informations pertinentes. “Hm. Je ne crois pas l’avoir déjà vu,” admit-il devant une photo de l’homme sur Wall Street, ce quartier bien reconnu dans le monde des finances. James Couture avait de nombreux contacts travaillant sur cette rue, mais peut-être que le travail de celui qu’ils stalkaient n’était pas assez haut placé pour valoir son intérêt. C’était fort probable, en fait — considérant qu’il vivait dans le quartier le moins huppé de la ville.

Alors que Will lui expliquait ses réserves quant à contacter la personne, il se contentait d’acquiescer sans être particulièrement surpris. Darius était plutôt précautionneux en général, mais s’il n’y avait qu’une personne pour remporter la palme de la méfiance, c’était bien son aînée. Tandis qu’il sortait fréquemment du manoir pour diverses raisons — la moitié du temps abordant une seconde identité — elle préférait s’isoler dans ce cocon familier qu’était devenu l’Institut. Il fallait toujours un peu lui forcer la main pour la convaincre de venir en aide aux gens de l’extérieur lorsque sa mutation s’avérait indispensable.

Lorsqu’elle se mit à parler de détective privé, Darius ne fut pas convaincu. “Et si ce détective finit par mettre son nez dans tes affaires ? S’il fait un lien en trop ? Non, je ne crois pas que ce soit la solution…” Intéressant comment leur méfiance se manifestait différemment. Darius préférait prendre le risque lui-même plutôt que de faire appel à une tierce partie.

Il finit par peut-être avoir une idée, un compromis. Il sortit de sa poche son deuxième téléphone, celui qui appartenait officiellement à James Couture. “Je pourrais le contacter,” suggéra-t-il tandis que ses doigts glissaient sur l’écran pour le déverrouiller. “Lui demander de rencontrer Monsieur Couture pour une offre d’emploi qu’il ne pourrait refuser.” Un petit sourire se dessina sur le coin de ses lèvres comme toutes les fois où un plan commençait à se ficeler dans sa tête. “L’une des salles de mon bâtiment possède un miroir sans tain : tu pourrais l’observer de l’autre côté tandis que je l’interroge sur ses médias sociaux…” De nos jours, tout le monde savait que les employeurs faisaient des recherches internet sur leurs potentiels employés. Et pourtant, les gens continuaient de publier des choses qu’ils pourraient regretter.

Sur son téléphone, il s’arrêta sur le profil de l’homme avant de lever les yeux vers Willow pour attendre son avis.

A ce compte là, on ne peut compter sur quasiment personne… Oui, c’était tout le problème de nos jours, avec la persécution des mutants qui devenait rampante dans ce monde de haine et de méfiance, comme si les conflits entre humains n’étaient pas déjà assez. Au moins, les résidents de l’Institut — surtout les anciens — savaient qu’ils pouvaient compter les uns sur les autres pour se serrer les coudes lorsqu’il semblait que le reste du monde complotait pour les faire tomber. Ils formaient une famille alors que les leurs les avaient rejetés ou ne pouvaient simplement les supporter.

Pourtant, bien qu’elle pût reconnaître la validité de l’idée, Willow n’était pas non plus convaincue par la proposition de Darius, la jugeant aussi risquée que le reste. “Dommage, j’aurais aimé voir sa réaction tandis que je lui fais regretter d’avoir exposé autant d’infos sur les réseaux sociaux,” répondit-il en offrant à Will une moue mi-déçue, mi-amusée. Gentiment traumatiser de jeunes humains dans le but de parvenir à ses fins était une activité que Monsieur Couture trouvait particulièrement divertissante. Mais il respectait la réticence de la mutante, au fond ; il n’était pas particulièrement surpris. C’était comme ça qu’elle avait toujours fonctionné et il savait qu’elle ne remettait pas en doute ses capacités.

Il rangea alors le téléphone et se leva pour se rapprocher de la fenêtre et observer les gouttes de pluie tomber dans la nuit. Un bien mauvais climat qui allait de pair avec les sentiments oppressants qui planaient depuis quelques temps.

Il se retourna vers Willow lorsque cette dernière suggéra d’impliquer Samara dans cette affaire. Indispensable Sam, finissant toujours par se retrouver au centre des soucis touchant de près ou de loin à l’informatique. Considérant la dépendance de la société actuelle aux appareils électroniques, il était parfois difficile de déterminer si le don de la protectrice venait également avec une sorte de malédiction — celle d’être sollicitée en permanence.

“Peut-être,” lâcha-t-il sur un ton plutôt neutre tandis qu’il y réfléchissait. Il y avait déjà pensé, à vrai dire, mais il savait qu’elle était déjà occupée avec plusieurs dossiers. Des dossiers qu’il lui avait lui-même ordonnée de rechercher. Il avait pensé que cette fois, il pouvait peut-être éviter de lui en ajouter un autre sur la pile…

Cependant, peut-être était-ce la solution qu’il leur fallait, celle qui se trouvait au juste milieu entre l’action et la prudence. Car finalement, le monde virtuel offrait les plus vastes possibilités d’exploration sans avoir à quitter son salon.

“Si tu crois que cela t’apaisera, Will, alors je dis que ça vaut la peine d’essayer,” finit-il par concéder. C’était toujours plus fort que lui d’essayer d’aider et de trouver des solutions à tout, mais lorsqu’il s’arrêtait deux secondes pour réfléchir, il n’y avait personne de plus prudent que Willow à l’Institut. Il lui avait toujours fait confiance, alors pourquoi ne pas continuer dans cette direction et faire confiance à sa suggestion ?

Jetant un coup d'œil à sa montre, il réalisa que les quinze minutes de pause qu’il s’était accordées étaient largement dépassées, si bien qu’il se questionna sur la pertinence de retourner au travail plutôt que d’aller se coucher pour être mieux reposé. Avant de quitter la pièce, toutefois, il articula avec une certaine tristesse : “Et si on se permettait un brin de répit, juste pour cette nuit?” C'était une pensée à voix haute, une suggestion pour lui-même plus qu'autre chose, mais peut-être Willow pouvait-elle aussi en bénéficier. Certes, l’ambiance actuelle rendait cela particulièrement difficile, mais une nuit de repos allait peut-être garantir deux jours d'efficacité.