Tel un fantôme, Willow arpente les allées de cette librairie de petite ville, qu'elle connaît si bien. Une des rares boutiques où elle se rend quand elle séjourne dans sa ferme du bout du monde, comme elle l'appelle, au coeur du New Jersey. Son antre, qui lui permet de déconnecter et de se cacher. Mais ces derniers jours n'ont pas la même saveur que ces précédentes venues. Cette fois, elle a le coeur le lourd, brisé par la mort d'un fils parti trop tôt à ses yeux, et pourtant qui avait le triple de son âge. Fichue mutation, qui la prive de sa vieillesse et la force à regarder partir ceux qu'elle aime... Oh, elle sait depuis longtemps que cela finirait par arriver, mais la douleur reste la même, qu'on le sache ou non, qu'on soit prête ou non. Une douleur dévorante, un chagrin qui semble infini, qu'elle cache du regard de ses proches, déjà inquiets pour elle certainement, en se réfugiant là où elle est seule.
Quelques jours prostrées dans sa demeure, sans en sortir, et puis finalement, une envie qui l'a poussé à aller en ville, à quelques kilomètres. Le besoin de courses principalement, l'envie de voir autre chose que ses quatre murs aussi. Ainsi, Willow est allée à la librairie comme souvent. Sauf qu'aujourd'hui, elle arpente les rayons sans vraiment savoir ce qu'elle veut. Elle traîne, regarde les livres, en tire certains pour lire les résumés, en sélectionne quelques-uns, sans forcément faire vraiment attention, du moment que le résumé lui inspire un petit truc. Elle tombe aussi sur une nouvelle édition d'un de ses romans préférés,
Orgueil et Préjugés de Jane Austen, et voilà qu'un livre de plus s'ajoute à sa pile de... elle compte... neuf livres. Et bah, elle va avoir de quoi s'occuper et penser à autre chose.
Un dernier tour, puis la Bowman rejoint la caisse. Il est temps pour elle de rentrer, elle a déjà bien trop traîner en ville. Elle a pour coutume de ne pas y rester longtemps, afin de ne pas se faire remarquer, dans un monde où tout va plus vite qu'il y a quarante ans, où les gens sont plus observateurs. Un monde où les traces numériques sont de plus en plus nombreuses, un risque qu'elle ne doit pas oublier. Une photo d'elle prise par inadvertance, et qui sait ce que cela pourra donner d'ici quelques années, quand elle aura à peine vieilli.
Soupir silencieux, et voilà que Willow rejoint la caisse, où elle attend derrière un homme brun, occupé à régler ses livres. Elle ne fait pas vraiment attention à lui, ses yeux divaguant sur tout ce qui entoure la caisse, au cas où elle ait besoin de quelque chose de plus. Un instant, ses iris bleues en croisent d'autres: celles du client devant elle. La blonde lui sourit doucement, avant de reprendre sa contemplation. Elle ne le reconnaît pas sur le moment. Il faut dire qu'il n'est plus cet adolescent qu'elle a aidé il y a bien des années, un soir d'été. Sans parler de sa vie à elle qui a grandement changé aussi depuis cette époque. Non, elle ne le reconnaît pas, si bien qu'elle lui adresse un regard surpris quand il prend la parole.
Des mots qui ramènent les yeux de Willow au jeune homme. Enfin jeune... Physiquement, il fait un peu plus vieux qu'elle, elle le reconnaît. Mais c'est une autre histoire, qu'elle chasse déjà de ses pensées pour le dévisager et le jauger.
- Bonjour...Répond-elle dans un premier, suspicieuse et méfiante, tandis que doucement ses traits s'imprègnent dans son esprit, et que son cerveau fait le lien avec cette rencontre du passé. Les battements de son coeur s'accélère soudainement, tandis qu'elle sort de sa torpeur, et que son esprit lui souffle de mentir.
Mens. Mens Willow.- Je ne crois pas qu'on s'est déjà croisé, Monsieur ? Mens. La petite voix craintive est à nouveau présente, alors qu'elle oublie sciemment de répondre à son interrogation concernant son identité. Pour le moment en tout cas. Peut-être est-elle trop méfiante ? Mais on est jamais trop prudent non ? Pensée insufflée par son esprit, alors qu'elle dévisage l'homme en face d'elle, s'interrogeant sur lui: ami ou ennemi ? Telle est la question.