Tromperie ? - Dayna&Mark

L’évitement n’est pas une solution et ça, Dayna le sait. Malheureusement, elle sait aussi que Mark commence à se rendre compte que quelque chose cloche. Cela fait plusieurs jours qu’il lui fait la remarque qu’elle n’est pas comme d’habitude. Dayna mise sur la fatigue, la quantité de travail importante, mais elle n’a jamais été douée pour lui mentir. Chaque fois qu’elle le fait, un frisson parcourt son corps à l’idée qu’il réalise et que la discussion éclate dans une terrible dispute. En revanche, lorsqu’il s’agit de cacher ce qu’elle vit quotidiennement chez elle, Dayna semble tout à coup très douée pour le mensonge. Personne n’a jamais rien su, ne s’est jamais douté de rien. Elle a pour habitude de toujours sourire, toujours être heureuse et joviale. Qui pourrait se douter qu’elle se fait rabaisser quotidiennement ? Personne. Pourtant, depuis qu’elle a embrassé Jack et qu’elle n’a pas été indifférente à ce rapprochement, Dayna n’est plus que l’ombre d’elle-même.

Il est environ 21h lorsqu’elle rentre de l’hôpital ce soir-là. Dayna est vraiment épuisée de sa journée et elle ne rêve que d’une seule chose : dormir. Elle a passé la journée à éviter Jack au travail et elle se rend bien compte que cette situation ne peut plus durer. En rentrant chez elle, Dayna retire ses chaussures et pose son sac dans l’entrée. Le bruit de la télé la mène jusqu’au salon. Son conjoint est installé dans le canapé, il ne lève même pas la tête vers elle alors qu’il l'a entendu rentrer.
Dayna vient jusqu’à lui et elle dépose un baiser sur ses lèvres pour le saluer.

— Bonjour mon coeur, tu as passé une bonne journée ? Ça a été le travail ?

Une question qu’elle pose à demie intéressée, parce que ce qu’elle veut réellement savoir, c’est s’il est de bonne humeur. La réponse peut impacter le reste de la soirée et ça, Dayna le sait.
Dès l’instant où elle s’est approchée pour l’embrasser, elle a senti l’odeur de l’alcool qui a envahi ses narines. Elle ne sait pas encore s’il a bu dans un état d’esprit jovial ou si c’est pour noyer sa colère. Elle attend d’entendre sa réponse, espérant que cette dernière soit positive.

Avachi dans le nuage de coussins qui habillaient le canapé, Mark voit les images de la télévision s'animer devant lui sans en appréhender le sens. Il fixe un point invisible sur l'horizon. Depuis combien de temps se trouve-t-il dans cet état, à scruter l'étendue du vide ? Quel programme regardait-il à l'origine ? Il ne s'en souvient plus. Une série policière, sans doute…
Sa main posée contre l'accoudoir du canapé se soulève, et il redécouvre la bouteille de whisky entre ses doigts. Il la porte machinalement à ses lèvres pour en siffler une gorgée, puis autre; elle rejoindra bientôt le cimetière de verre brisé qui occupait le cagibi. Il n'a pas compté, mais Mark sait très bien que ce n'est pas sa première consommation de la soirée.
Ses yeux retournent à son feuilleton. Le programme est en espagnol. Mark n'en parle pas un mot, mais ce n'est pas indispensable pour comprendre ce qui s'y passe. Un couple s'engueule, leur mariage bat de l'aile; les acteurs parlent fort et font de grands gestes. Soudain, ses sourcils se froncent et le quarantenaire commence à se ronger l'intérieur de la joue, contrarié.
Il vient de se rappeler d'une des raisons qui l'ont poussé à picoler ce soir.

Depuis plusieurs jours, c'est avec une certaine impatience que Mark guette l'arrivée de sa compagne. Il chronomètre chaque minute qui passe dans sa tête, consulte les actualités en direct pour se tenir informé sur la saturation des services d'urgences (et la circulation sur le trajet du domicile à l'hôpital où Dayna exerce…). Il s'imagine toutes sortes de scénario abracadabrant pour expliquer ses retards, aussi ponctuels et brefs soient-ils… aucune de ses explications n'a de valeur à ses yeux. Le persécuteur ne croit plus aux excuses de la brune. Il est intimement persuadé qu'elle le trompe.
Et lorsque ce celui-ci s'est mis une idée stupide dans la tête, l'en dissuader tient du miracle… ça devient un combat de tous les instants.
Mark boit une dernière gorgée du liquide ambré avant de laisser glisser la bouteille en direction du sol. Il attrape maladroitement le téléphone dans sa poche et tape un message approximatif sur le clavier virtuel, un truc du style "t ou sale cheinne et avec qui????" avant de se raviser. Finalement, son texto part vers un ancien collègue (et ami de longue date) qui partageait ses idées nauséabondes sur la place de la femme: "suis sur quelel me trompe..... avec qui tu crois? devrai installer des camera. ten penses quoi........".

Il lâche son portable qui rebondit sur le canapé. La colère gronde dans ses entrailles, comme un monstre endormi. Quand l'ex flic s'apprête à se lever pour se ravitailler en alcool, il entend le bruit d'une clef dans la serrure. Ses yeux se posent instinctivement sur l'horloge du salon.

Vingt-et-une heure treize.

Mark reste à sa place. Il l'attend, silencieusement, sans bouger. Le feuilleton espagnol a laissé sa place à un bulletin météo. Il la laisse déposer un baiser contre ses lèvres, auquel il ne répond pas. Il ne croise pas son regard, qu'il préfère éviter. Mark le sait pertinemment: à la seconde où il posera les yeux sur elle, sa colère refera surface et lui fera perdre tous ses moyens.

— Hmmm, maugrée-t-il, ce qui n'est ni un oui, ni un non. T'étais où ? T'étais pas censée finir plus tôt aujourd'hui ?

Ses yeux se plissent, toujours rivés sur l'écran.
Il va pleuvoir en colombie.

— Tu rentres tard, en ce moment, s'entend-t-il ajouter.

Il ne lui rend pas son baiser et ça suffit à faire comprendre à Dayna qu'elle va passer une mauvaise soirée. La belle brune se redresse et son regard s'ancre sur son conjoint. Elle a besoin de trouver sur son visage quelque chose de rassurant, mais c'est tout l'inverse. Il est furieux et elle le sait avant même qu'il ouvre la bouche. Quand les mots viennent jusqu'à ses oreilles, elle a la confirmation. La soirée ne va pas bien se passer.

— J'ai fait la relève avec Sarah, ma collègue, ça a été un peu plus long que prévu.

Sarah est une infirmière présente à l'hôpital depuis longtemps, ça dure toujours un peu plus quand elle fait la relève avec elle, parce qu'elle discute ensemble. Cette petite discussion lui a d'ailleurs fait du bien, lui permettant de se changer les idées après cette journée difficile.

La nouvelle remarque de Mark montre qu'il n'est pas convaincu par cette réponse. Dayna préfère utiliser l'option "fuite" en se dirigeant vers la cuisine pour commencer à préparer à manger, puisque ce n'est pas son mari qui s'occupe de ça, même lorsqu'elle passe des journées exténuantes.

— Il y a du boulot aux urgences, dit-elle simplement sans rien ajouter de plus.

Elle ne tente pas de donner des arguments, vu l'état de Mark, elle sait que ça ne sera pas suffisant. Il est persuadé que quelque chose cloche et malheureusement, il n'a pas tord. Cette pensée tord l'estomac de la brune qui ravale difficilement sa salive. Elle commence à sortir des légumes pour les couper et débuter sa préparation, sans plus oser lever la tête vers Mark. Elle ajoute simplement :

— Je suis désolée, je suis un peu crevée ce soir, je vais aller me coucher tôt.

Elle espère que ça passera. Qu'il la laissera simplement aller dormir, sans crier sur elle. Dayna est fatiguée de tout ces cris, constamment. Elle est épuisée. La seule chose dont elle a besoin, c'est de Jack. Ses pensées reviennent constamment à lui. Il est si doux, si attentionné. Il a toujours été un repère pour elle, mais elle niait trop ce qu'elle ressentait pour lui jusqu'à ce baiser où tout lui a sauté au visage. Désormais, Dayna culpabilise à chaque fois qu'elle pense à lui. Pourtant, c'est la seule personne avec qui elle a envie d'être.

Il écoute ses excuses, mais ne les croit pas. Ça se voit sur son visage.
Il se fout pas mal que Samantha soit une grosse feignasse, qu'elle fasse mal son job, que ça lui prenne trois heures pour passer le relai à ses collègues ou qu'elle s'appelle en fait Sarah. Qu'est-ce que ça change ?
Non, si Dayna rentre tard, c'est parce qu'elle le veut. Ses mots ne l'ont pas convaincu. Ils sonnent faux à ses oreilles. Ce ne sont que des prétextes, un subterfuge pour mettre de la distance entre eux… sa compagne l'évite. Il le sait. Pourquoi ? Il n'en connait pas encore la raison, mais les scénario qui se jouent dans la tête du persécuteur ne sont pas à son avantage.
Peut être que Samantha n'existe pas, d'ailleurs. Peut être qu'elle porte un autre nom — pas Sarah, non! un prénom d'homme — mais l'idée que "sa" Dayna passe du temps en compagnie d'un autre le rend fou furieux.
S'il apprend qu'elle le trompe… Son poing se contracte, jusqu'à imprimer le contour de ses ongles contre la paume de sa main. Plus il y pense, plus sa colère monte. Il a du mal à contrôler ce flot d'émotions.

Mark se lève et suit Dayna jusqu'à la cuisine où elle s'est réfugiée. Il n'évite plus son regard. A quoi bon ? Il voulait la préserver de sa fureur, mais c'était trop tard maintenant; elle était déjà bien installée.

— Ouais, du boulot y'en aura toujours. Et alors ? T'es pas la seule à bosser dans ce service que j'sache, conteste-t-il sur un ton réprobateur, avant de rajouter : Et t'es sûrement pas irremplaçable, mon cœur.

Amortir une remarque humiliante avec des mots doux, c'était l'une de ses spécialités. Une façon de lui rappeler qu'elle n'est pas digne de son amour. Elle a de la chance de l'avoir. Elle ne trouvera pas mieux.
Profitant de sa nouvelle proximité avec le réfrigérateur, l'ex flic se sert une bière (encore une!) dont il fait sauter la capsule contre le rebord de la table. Un geste répété des milliers de fois, comme en témoignent les nombreux coups et indentations dans l'acier. La précision des alcooliques…

— On a pas fini de parler.

Son objection est sèche, ses mots et son attitude ne laissent pas place à la négociation. Il contourne l'îlot de cuisine pour lui faire face. La jolie brune n'ose plus le regarder, et il le voit. Ça ne lui plait pas, cette tête de coupable. Est-ce qu'elle n'aurait pas des choses à se reprocher ?

— Que se passe-t-il, Dayna ? demande-t-il de but en blanc.

Il arrache le légume qu'elle tient entre ses mains pour capter son attention et, désormais armé, pointe vers elle un poireau accusateur.

— Qu'est-ce que tu me dis pas ?!

Tête baissée, Dayna est concentrée dans sa tâche. Elle ne veut pas croiser son regard, elle ne veut pas qu'il lise en elle comme dans un livre ouvert. L'infirmière est totalement déstabilisée de cette situation. Elle craint sa réaction s'il apprend ce qui s'est passé. Mark n'est jamais violent avec elle physiquement, sauf quelques fois, mais à chaque fois, c'était toujours sa faute. Elle l'avait poussé à bout. C'est elle qui l'avait mis en colère. Ce ne serait pas arrivé si elle avait fait attention à lui, si elle avait fait en sorte qu'il reste calme.

T'es sûrement pas irremplaçable, mon cœur. Les mots sont douloureux, ils viennent lui transpercer le coeur sans aucune douceur. Non, elle ne l'était sans doute pas. Son travail, n'importe qui d'autre pouvait le faire. Et sans doute mieux qu'elle. Pourtant, Jack semblait satisfait de l'avoir à ses côtés pour soigner les mutants. Si elle n'avait pas été compétente, il aurait refusé son aide. Ou alors il était trop gentil pour refuser... Peut-être qu'il aurait préféré être assisté d'une autre infirmière. Une partie de Dayna refusait de le croire. Ils sont proches depuis des années, complices. L'infirmière a souvent gardé ses enfants pour le dépanner quand Poppie ne pouvait pas le faire. Dayna a même été là lorsqu'il a perdu sa femme.
En pensant à elle et à Jack, Dayna sent son coeur se comprimer dans sa poitrine. Elle est une mauvaise personne. Elle profite du deuil d'un homme pour se rapprocher de lui. Elle le fait sans même s'en rendre compte. Ce baiser était si naturel et pourtant... elle n'en avait pas le droit. Ses yeux se posent alors sur Mark qui vient de décapsuler sa bière. Il n'a pas besoin de ça... Il a déjà suffisamment bu, se dit-elle.

— Il ne se passe r...

Elle ne termine pas sa phrase alors qu'il lui arrache le poireau des mains et qu'il le pointe sur elle. Dayna a un mouvement de recul. Elle cherche à mettre de la distance entre eux.

— Je suis juste épuisée en ce moment et j'aimerais juste que tu me laisses cuisiner pour qu'on puisse manger et que j'aille ensuite me coucher !

Dayna avait haussé un peu le ton sans s'en rendre compte. Elle était crevée après sa journée de travail. Mentir était particulièrement difficile pour elle et c'était une tension permanente qui la transformait en bombe prête à exploser.

Lorsqu'elle répond enfin à ses interpellations, son visage s'assombrit. S'il y a bien une chose que le quadragénaire ne supporte pas, c'était l'insolence à son égard. Cet affront ne serait pas classé sans suites.
En vérité, il a déjà oublié les mots qui ont franchi les lèvres de sa compagne. Cuisiner, manger, dormir, bla bla bla… ce n'est pas la confession qu'il attend d'elle, alors ça rentre par une oreille et ça ressort aussitôt par l'autre. Mais le ton de sa voix… ça passe pas. Il lui reste en travers de la gorge.

— NE ME PARLE PAS COMME ÇA!

Mark aboie plus qu'il ne crie. Ses éclats de voix s'accompagnent de gestes brusques; il s'agite, frappe furieusement des deux poings contre le plan de travail — renversant un quart de sa bouteille au passage — avant d'envoyer valdinguer le poireau à travers la cuisine. (Naturellement, ce n'est pas lui qui nettoiera ce foutoir à la fin de la journée, mais bien Dayna).
Le persécuteur se replie ensuite dans un coin de la pièce, à distance de sa conjointe. A moitié conscient de son état d'énervement, et surtout de son absence totale de self-control, il préfère s'éloigner des ustensiles de cuisine. Au cas où lui reviendrait l'envie de balancer des trucs plus dangereux dans les airs… dans sa direction cette fois. On est jamais trop prudent.
Il essaie de se reprendre, de souffler l'air de ses poumons pour se calmer. Lorsqu'il était dans les forces de l'ordre, on lui a imposé des "stages" pour apprendre à gérer sa colère avec des exercices de respirations. Ça n'était déjà pas très efficace à l'époque… Quand Mark se retourne vers Dayna, ses traits sont encore déformés par la colère. Tout ça, c'était de sa faute. Si elle ne lui avait pas manqué de respect, ils n'en seraient pas là.

— Si tu crois que je vais te laisser dormir sans qu'on en parle, t'es vraiment conne, grince-t-il entre ses dents.

Ses mains tremblent. Il y enfouit sa tête.

— T'es différente, tu m'évites… je l'ai vu, Dayna. Je suis pas fou. Je sais qu'il s'est passé quelque chose. Dis-moi quoi, merde!

Les cris retentissent et Dayna regrette aussitôt d'avoir haussé le ton. Elle déteste quand il hurle, quand il se met en colère. Les battements de son coeur s'accélèrent déjà. Elle s'éloigne de lui de quelques pas, se collant contre le plan de travaille. Dayna est épuisée de tout ça. Des cris, de la colère. Elle n'en peut plus, mais elle continue d'encaisser. Après tout, c'est son quotidien. Elle ne mérite pas autre chose.

Les poings s'abattent sur le plan de travail, le poireau vole. Dayna a subitement la faim coupée. Elle a juste envie de s'enrouler dans sa couverture, de s'effacer, de disparaître. Alors pourquoi le visage de Jack ne cesse d'apparaître dans son esprit ? Chaque fois que ça arrive, elle s'en veut et culpabilise un peu plus. Mark s'éloigne, mais elle sait que c'est provisoire. Il suffit qu'il tourne la tête vers elle et qu'elle voit la colère déformer ses traits pour comprendre que les choses ne vont pas s'arrêter maintenant. Bien au contraire, la dispute ne fait que commencer.

Dayna sait que s'il est comme ça, c'est uniquement à cause de son comportement. Elle est incapable de lui mentir et si elle n'avait pas embrassé Jack. Si elle était une vraie conjointe, elle n'éprouverait pas des sentiments pour un autre homme. Elle devrait avoir honte...

— Je te jure ! Il n'y a rien ! crie-t-elle d'une voix brisée.

Elle lui mentait... N'avait-elle pas honte ? Dayna ne le méritait pas. Elle ne méritait pas cet homme qui était l'aimait si fort qu'il devenait fou à l'idée qu'elle voit quelqu'un d'autre. Mais comment lui en vouloir ? C'était elle la fautive.
La brune voit les mains de Mark qui tremblent et elle déteste le voir comme ça. Les larmes commencent à lui monter aux yeux sans qu'elle ne puisse le contrôler. Elle secoue la tête en les laissant couler le long de ses joues.

— Je suis désolée de te mettre en colère... Tellement désolée... S'il te plaît, calme toi... Je te promets de faire des efforts, de prendre soin de toi. Je ferais attention à ne pas rester trop longtemps au travail... Je t'aime ! Je ne veux pas que tu t'énerves à cause de moi...

C'est faux. Elle ne l'aime plus. L'amour s'est évaporé au fil des années, à cause des mots toujours plus violents au fil du temps. Mais une part d'elle se dit qu'elle l'aime encore. Même si c'est mince. En réalité, ça ne ressemble en rien à de l'amour. C'est simplement l'emprise que Mark exerce sur elle.

Quand les larmes viennent rouler doucement sur le visage de sa conjointe, l'ex policier ne cache pas son agacement. Il lève les yeux au ciel. C'est de la comédie, il en est persuadé. Une stratégie pour le faire culpabiliser.
Elle croit sans doute que ses sanglots vont l'adoucir, qu'il va tout laisser tomber pour la réconforter… comme si c'était son genre.
Il n'imagine pas une seconde que sa détresse puisse être sincère ou même justifiée. Pleurnicher, c'est dans la nature des femmes. Ce sont toutes des actrices, des manipulatrices; elles ne manquent pas de ressources lorsqu'il s'agit de sortir les violons. Il ne mord pas à l'hameçon.

— Arrête de chialer, proteste-t-il avec impatience. C'est immature. C'est les mômes qui pleurent, comporte toi comme une adulte.

Ça sonne presque comme un ordre. Rien d'inédit pour le couple, Mark est le cliché du conjoint abusif et avide de contrôle. Il sait tout mieux qu'elle, sa perspective est donc toujours la bonne. Dayna ne l'écoute pas assez.
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'il lui impose sa vision des choses. Il le fait à chaque fois que son comportement l'insupporte; c'est à dire, très souvent. Ça fait longtemps que la jolie brune n'est plus parfaite aux yeux de son compagnon — si tant est qu'elle l'ait jamais été.
Aujourd'hui, Dayna n'est plus qu'un morceau d'argile entre ses mains. Il ne cesse de la briser, encore et encore, pour mieux la remodeler… mais en dépit de ses efforts abus, le résultat n'est jamais à son goût.
Le persécuteur reste dans son coin de cuisine, agité; ses gestes nerveux et imprévisibles. S'il finit par retourner près de l'îlot — et de Dayna — ce n'est pas (encore) pour la malmener. Attiré par l'alcool, Mark reprend sa bière en main et la descend à une vitesse alarmante. Ses yeux se posent à nouveau sur Dayna, et il secoue la tête en signe d'incrédulité.

— J'te crois pas. Tu mens. Je sais qu'tu mens! Il marque une pause et puis, l'alcool aidant, Mark commence à s'énerver tout seul : Tu dois me prendre pour un abruti, c'est ça, hein ?! HEIN ?! Tu me manques de respect, tu devrais avoir honte de toi.

De sa main libre, il tire sur le col de son t-shirt pour s'éventer.

Il fait beaucoup trop chaud dans cet appartement. C'est insupportable. Et en parlant de choses insupportables… bon sang, mais quand est ce qu'elle va arrêter de chialer, enfin ?! Et pourquoi elle pleure comme ça ? De quoi se plaint-elle ? Il ne l'a même pas touchée!

— DAYNA!!! Tu vas te calmer, à la fin ? Tu veux que je te donne une vraie raison de pleurer ?!

La belle Dayna fait son maximum pour que les larmes cessent, mais c’est plus fort qu’elle. La situation est bien trop difficile. Elle n’arrive pas à réguler ses émotions et elle est terrifiée par la suite des événements. Son corps lui permet d’évacuer le stress en pleurant. C’est un moyen pour son cerveau de la protéger à ne pas vriller complètement vers la folie. Cela fait trop longtemps que cette situation dure avec Mark. Ses mots, ses colères, sa violence psychologique. Il n’est plus l’homme qu’elle a aimé, mais elle reste… par fidélité. Et pourtant, il vient remettre la confiance qu’il a envers elle en question. Mais quand on pense au fait qu’elle a embrassé un homme qu’elle commence, lui, réellement à aimer. Il est tout à fait normal de remettre en perspective la notion de fidélité auquel Dayna est attachée.

Elle reste silencieuse après lui avoir supplié d’arrêter tout ça. Elle a tenté de lui dire des mots doux pour apaiser la bête qui sommeille en lui, mais ça n’a pas été suffisant. Ça n’a fait qu’aggraver les choses en réalité et pour ça, Dayna culpabilise. Elle ne parvient à rien avec Mark. Elle n’est rien. Qu’une moins que rien… et elle le sait. Il lui a suffisamment répété au cours de ces longues dernières années.

Elle le voit siffler sa bière en une ultime gorgée et Dayna sait que tout est toujours pire au fur et à mesure qu’il boit. Le voir ainsi la renvoie souvent à son enfance, où son père était une ordure du même type, incapable de donner le moindre amour à sa femme et sa fille, mais qui porte beaucoup d’attention à la bouteille. Dayna n’a jamais fait de travail thérapeutique, elle n’a jamais réfléchi à sa vie et à l'enfer qu’elle a vécu. Elle a toujours tue l’ensemble de ses épreuves difficiles, arborant un sourire face à la terre entière pour les duper tous. En réalité, c’est elle-même que Dayna dupe. Elle est incapable de se rendre compte que le seul moyen de fuir tout ça, c’est d’en parler, de chercher du soutien et de se barrer loin de Mark. Encore faudrait-il qu’elle réalise que quelque chose cloche. Tant qu’elle continuera de se rabaisser mentalement, elle n’y parviendra pas. Mais la rabaisser, c’est ce que tous les hommes de sa vie ont toujours fait. Ils ont réussi à la persuader. Aujourd’hui, Dayna est incapable de partir pour le moment, elle ne peut pas quitter cette relation violente et toxique, parce qu’elle est persuadée que le problème, c’est elle. Un putain de cercle vicieux qui la pousse à répéter les schémas vécus enfant.

Pourtant, inconsciemment, elle craque. Elle ne supporte plus tout ça. Le cerveau ne peut pas endurer une quantité de stress trop importante sans faire un burn-out. Dayna met sa vie en danger en restant, pas uniquement en risquant de subir les coups de Mark, mais aussi en mettant son corps à rude épreuve. En mode survie permanente.

— Je… Je n’arrive pas à arrêter… pleure-t-elle de plus belle.

Elle tente de calmer ses sanglots, mais rien n’y fait. C’est de pire en pire à chaque fois qu’elle tente. Et plus les secondes passent, plus le fait de ne pas réussir à se calmer l’angoisse. Elle a la sensation de manquer d’air et commence à faire une crise d’angoisse.
Il hurle et elle tremble de plus belle. Il la menace, indirectement. Et elle secoue la tête. Elle ne supporte plus les cris. Elle ne supporte plus tout ça… Dayna se recroqueville de plus en plus contre le plan de travail et elle tente de calmer sa crise d’angoisse grandissante. Mais tant que Mark hurlera à côté d’elle, elle n’arrivera pas à se calmer. Elle arrive à parler entre deux sanglots des mots qu’elle n’aurait jamais prononcés, qui s'échappent à cause d’un trop plein, mais qui n’aideront pas son conjoint à se calmer.

— Je ne peux plus tout ça… Je peux plus Mark… je veux que ça s’arrête.

Elle parle des crises, des humiliations, des cris. Mais est-ce qu’au fond de son cœur, ce qu’elle ne veut pas réellement c’est que cette relation s’arrête enfin ?

Un conjoint aimant se serait aussitôt précipité vers Dayna pour la rassurer et l'aider à surmonter cette crise d'angoisse passagère. Les êtres humains décents savent prioriser leur moitié; aucune dispute de couple ne vaut la destruction de la santé mentale de son partenaire.
Mais il s'agit de Mark… Mark n'a aucune fibre empathique. Non, vraiment. Vous l'imaginez allumer des bougies à la lavande et lui masser les épaules ? Ça ne lui viendrait même pas à l'esprit. Une relation saine, ça demande une aptitude à construire des liens forts et respectueux; et construire, c'est pas son truc. Il n'est bon qu'à tout détruire sur son passage.
Mark n'est le choix de personne, c'est une erreur de parcours; un homme manipulateur et toxique avec un trou à la place du cœur.

— Prend ton temps, surtout, peste-t-il à voix haute. C'est pas comme si on devait bosser de bonne heure demain…

Sans surprise, les tourments de Dayna le laissent indifférent. Il la regarde sangloter sans intervenir. Il attend que la brune retrouve ses esprits, pour que leur conversation puisse reprendre tranquillement son cours. Quelle perte de temps! Si elle lui avait dit ce qu'il veut entendre dès le début, au lieu de débiter des mensonges, la soirée serait déjà terminée.
L'ex policier a l'air presque calme, comparé à la dernière heure, mais cette accalmie n'est que temporaire — et puis, mine de rien, il fait preuve d'une sacrée retenue — il est véritablement à deux doigts de lui balancer une boîte de mouchoirs à la gueule. Donnez lui une médaille.
Mark la voit se recroqueviller contre le plan de travail, éplorée. Ça l'agace. Il se demande s'il ne devrait pas glisser un xanax dans son café du matin, ce serait tellement, tellement plus simple que de devoir gérer ces émotions… mais… non. Même lui sait que c'est mal, certaines limites ne devraient pas être franchies. Ce qui ne l'empêche pas d'y penser très fort.

— Je ne peux plus tout ça… Je peux plus Mark… je veux que ça s’arrête.

Son sang ne fait qu'un tour. Arrêter quoi ? Est ce qu'elle veut… partir ? Est ce qu'elle ose seulement y penser ? Non. Non, non, non… il ne la laissera pas faire. Elle le sait. Mais elle le sous-estime. Elle n'imagine pas tout ce qu'il est prêt à accomplir pour la garder auprès de lui.

— Quoi ? Qu'est-ce que tu veux dire par là ? J'espère que c'est pas c'que je crois, putain. Parce que sinon… il laisse ces mots en suspens, le ton de sa voix s'élève à nouveau. Putain Dayna!!! Tu sais que tout ça, c'est ta putain de faute. Tu me rends FOU.

Mark s'est rapproché de sa conjointe et lui postillonne presque ces mots au visage. Son haleine empeste l'alcool. Sans douceur, le persécuteur l'attrape par le bras pour la retenir; ses doigts enserrent brutalement son poignet, comme un étau. Il la tire vers lui. Il ne veut pas lâcher prise.

— Tu veux partir, c'est ça ? Me quitter, après tout ce que j'ai fait pour toi ?!

Cette dispute est de trop. Dayna accumule depuis des années, mais elle commence à arriver à saturation de ce qu'elle peut supporter. Personne n'est capable de supporter une telle violence quotidienne. Personne ne peut accepter de se faire rabaisser de cette façon. Pourtant, Dayna encaisse depuis longtemps déjà. Sauf que là, c'est trop. Elle n'y arrive pas, à tel point qu'elle fait une crise d'angoisse qu'elle n'arrive pas à calmer. Mentalement, elle pense aux patients qu'elle accueille parfois et qu'elle rassure avec des mots doux qui leur permet de penser à autre chose. Elle tente de faire la même chose avec elle-même, mais les mots rabaissants de Mark prennent toute la place dans sa tête.

Les mots s'échappent tous seuls d'entre ses lèvres quand elle lui exprime qu'elle ne supporte plus cette situation et qu'elle a besoin que ça s'arrête. Elle les regrette aussitôt. La colère explose de nouveau dans le regard de Mark, il s'approche d'elle un peu trop près. Dayna tente de reculer, mais elle est bloquée par le plan de travail derrière son dos. Il crache, il hurle. Mark est menaçant. Dayna le regarde, elle analyse et reste sur ses gardes. Tout son corps est en alerte. Elle est prête à mettre les mains devant son visage pour se protéger s'il le faut. Même si la violence psychologique a toujours été présente, elle a vraiment la sensation qu'aujourd'hui, Mark peut dépasser les limites.

Tu n'as pas besoin de moi pour être fou, pense-t-elle alors. Il est rare qu'elle dénigre mentalement son conjoint. Mais encore une fois, elle arrive à la limite de ce qu'elle peut supporter. Quand elle regarde Mark, elle n'arrive plus à lui trouver des excuses. Elle n'arrive plus à l'aimer. Le dégoût est doucement en train de s'immiscer entre eux.

Dayna n'a pas le temps de parler qu'il lui saisit violemment le bras, lui serrant le poignet avec violence.

— Mark, Arrête ! s'écrie-t-elle. Tu me fais mal !!

Elle tente de se dégager, mais il serre un peu plus sa prise autour de son poignet ce qui est particulièrement douloureux. Dayna a l'impression qu'il va lui briser un os s'il continue à serrer aussi fort.

— Je n'ai pas parler de te quitter ! Mais je ne supporte plus tes cris, je ne veux plus avoir à vivre ça !

Elle pose sa main contre le torse de Mark pour tenter de l'éloigner d'elle. Elle cherche à se protéger, pas à le provoquer davantage. Elle veut juste qu'il reste loin, qu'il ne soit plus face à elle, menaçant. Dayna a juste envie de se mettre en boule dans un coin et d'oublier tout ça. L'haleine alcoolisé de Mark vient jusqu'à ses narines et elle fait un mouvement de recul, tentant encore une fois de dégager son poignet.

— Tu me fais peur... Je... J'ai l'impression que tu es comme mon père !

Les mots prononcés sont durs. Parce que Dayna s'est confié à Mark dès le début de leur relation sur tout ce qu'elle avait enduré lorsqu'elle était jeune de la part de son géniteur. Un homme odieux. Qui était bien pire que Mark. Un homme violent, non pas que psychologiquement, mais aussi physiquement. Elle n'avait encore jamais comparé son père et son conjoint. Même dans sa tête. C'est la première fois qu'elle le fait. Mais en prononçant ces mots à voix haute, elle réalise aussi tout ce qu'elle endure depuis quinze ans. Mark a quitté son rôle d'homme aimant dès les premiers mois de leur relation. Doucement, il atteint le point de non retour. Il fait peur à Dayna. Et elle ose le dire, le reconnaître. Elle choisit juste le pire moment pour lui balancer ça en plein visage.