Strange encounter

J’avais suivi la présence une bonne partie de la journée pour essayer d’identifier la personne qui la produisait. Bizarrement, j’étais incapable de dire à qui appartenait cette signature, comme si l’aura avait été enregistrée inconsciemment dans mon esprit sans me prévenir à qui elle appartenait. Ce mystère m’avait intrigué. Nul doute, de toute manière, que cela concernait un de mes tortionnaires et consorts. Un énième meurtre à proférer pour purifier les rues de la ville, un énième crime pour permettre aux jeunes mutants de vivre tranquillement leur vie – ce que je n’avais pas pu faire moi-même. A bonne distance, et c’était peu dire puisque j’étais capable de pister ma cible sur des centaines de kilomètres, j’observais ma proie pour tenter de déceler des indices. Mais rien chez elle ne me permettait de la relier avec un élément de mon passé, rien de rien. La raison me dictait que ce n’était pas un accident et qu’elle cachait bien plus qu’une sympathique apparence, probablement un secret inavouable. Je mis un certain temps à me rendre compte qu’elle était une scientifique, ce qui donnait un point accroche manifeste avec ma propre histoire : faisait-t-elle partie des expérimentateurs, ceux qui ont tenté de décrypter le secret de mon génome ?

Quand bien même ce ne fut ce pas le cas, il me fallait agir et trouver la bonne occasion pour l’abattre. Si la situation le permettait, peut-être glisserais-je une ou deux questions à mon propos, pour en savoir plus. Mais à l’inverse, si le destin ne m’offrait qu’une fenêtre de tir parfaite, j’étais prêt à la saisir et à passer à autre chose sans aucun remord. La vie était déjà assez complexe comme ça pour s’encombrer d’hypothèses et de questionnements inutiles. Finalement, c’est le premier cas de figure qui se présenta à moi un soir. La proie, filant à travers une ruelle, semblait être à l’origine d’une altercation étouffée. De mon côté, emmitouflé sous un manteau gigantesque, j’avançais lentement en essayant de ne pas me faire repérer, le visage dissimulé sous une capuche enturbannée, couvrant sommairement mes cornes sans pour autant réussir véritablement à faire illusion. Un bruit de tir me fit hâter le mouvement, en espérant de toute mon âme que l’un des miens n’avaient pas été victimes de ma cible. Un homme courut à mon encontre en lançant des œillades appuyées en arrière. Sans réfléchir plus que ça, je l’agrippais par le col avant de le propulser contre le mur de briques, le tenant fermement par le cou avec l’aide de ma queue, le bourrant de frappes dans le torse. Une fois fait, j’essayais de distinguer des propos cohérents de ses phrases, accompagnées de gémissements et de glapissements de peur.

─ Des mu … Des mutants ! Des mutants partout ! Tentait-il de vociférer en regardant la fin de la traverse, espérant capter le regard d’un passant.

J’avais l’information que je cherchais et, là aussi sans aucune finesse, je l’envoya se cogner violemment contre une poubelle dans un bruit de froissement métallique. Puis, lentement et en tâtant l’un de mes deux flingues, je décidais qu’il était temps d’engager ma cible et d’en finir simplement. D’autant plus si celle-ci était avec des mutants en danger. La femme était auprès d’une victime légèrement blessée, probablement pour l’égorger et finir le travail. Par réflexe, je décidais de tirer volontairement à côté pour provoquer une réaction de peur, et ainsi éviter un coup de dague trop pressé.

─ Oh ! Tu vas gentiment t’éloigner de la dame avant que je te fasse exploser la cervelle. Tout en tenant fermement mon arme et en visant vers elle, j’enlevais mon turban pour faire apparaître mon visage et mes cornes. Tu te rappelles de moi ? Pour le coup, ma question n’était pas faussement candide, je l’avais posé avec une vraie envie enfantine de comprendre, et peut-être même que ce sentiment-là impacta le ton de phrase puisque je me sentis gêné de la prononcer ainsi. J’ai envoyé ton petit copain rejoindre des potes à lui. Faut dire que pour des putains de racistes comme vous, rien ne vaut le fait de finir entouré de sacs remplis de merde. Si possible en petits morceaux.

Bien, elle voulait jouer l’idiote, elle en subirait les conséquences. La demoiselle voulait me faire croire que je lui étais totalement inconnu, qu’elle était là pour s’occuper de la mutante blessée. Je n’étais pas dupé, je voyais clairement dans son jeu et j’étais prêt à lui montrer que je n’aimais pas qu’on se foute ainsi de moi. Mon doigt glissa sur la détente, à quelques millimètres d’envoyer une balle longue comme le bras exploser son crâne.

─ Je ne le répéterais pas une seconde fois, éloignez-vous de cette femme, dis-je d’une voix roque, imperturbable.  Je ne me ferais pas avoir par votre tentative ridicule de me perturber. Je sais ce que vous êtes, je sais ce que vous avez fait aux êtres comme nous. Vous ne méritez qu’une seule et unique sentence.

Mais je n’eus pas le temps de parachever mon œuvre, puisqu’une force incompréhensible agrippa mon arme pour la faire s’envoler de mes doigts alors même que je m’apprêtais à tirer. Mon revolver lévita vers elle jusqu’à atterrir mollement dans ses mains. Pendant de longues secondes, je restais éberlué : mon visage étant coincé dans une grimace mêlant surprise et incompréhension. Était-elle une mutante ? Une victime qui avait fini par travailler pour ses bourreaux, comme les esclaves qui servaient à en tempérer d’autres à l’époque de la ségrégation ?

Une autre idée germa dans mon esprit, inspirée par les films de science-fiction que je regardais parfois à la télé. Mes yeux paillonnèrent à la recherche de fils ou d’un aimant géant, sans rien trouver pour confirmer mon hypothèse. Soit, j’étais bien équipé, le tour ne pouvait fonctionner qu’une fois après tout. Même si je ne pouvais pas déceler entièrement le fonctionnement de ce passe-passe, cela ne pouvait être qu’une tentative pour me troubler. Je sentais que s’il me venait la volonté de m’approcher, la persécutrice tenterait de m’égorger avec une lame cachée sous sa chemise, ou en me tirant dessus avec une arme tout autant dissimulée. Non, j’étais plus malin que cela. J’avais de la bouteille, de l’expérience, mon instinct ne me trompait jamais. La situation était louche et ma raison me criait de ne pas la croire, de prendre mes distances et de finir le travail. Si j’avais enregistré sa présence, c’est qu’elle représentait l’ennemi à abattre, cela ne pouvait être autrement.

Une fois rassuré et prenant enfin conscience de la duplicité de la demoiselle, je m’avançai doucement vers mon adversaire, un sourire au coin se dessinant sur ma face rubiconde. On pensait toujours que je n’étais qu’une masse de muscles, un idiot incapable de faire preuve de logique. Je me délectais du plaisir de détromper mes détracteurs. Aujourd’hui, j’étais le plus malin dans cette histoire. Je me voyais déjà raconter aux membres du Groupe de Libération des mutants mon exploit de ce jour.  

─ Hm. J’ai presque failli croire que vous étiez une mutante, c’est bien joué de votre part. C’est inattendu une telle préparation mais c’est là que votre piège se referme définitivement sur vous. Avec ma pogne, j’attrapais le second revolver qui pendait sous mon épaule, rangé dans un holster en cuir se confondant avec la couleur de mon manteau. Vous allez faire quoi avec celui-ci, me le prendre des mains aussi ? Riais-je en activant le chien, faisant tourner le barillet. Je ne crois pas, non.

Je ne pus retenir un grognement surpris lorsque mon second revolver s’envola dans les airs. Complétement perdu, je regardais l’objet se mouvoir devant moi en affichant une moue hébétée, la bouche en cœur alors que je me tordais la nuque, à la recherche d’une grue ou d’un hameçon. Rien de rien. Je devais me rendre à l’évidence, c’était bien une mutante. Mais que faisait-elle avec l’autre clampin, alors ? Je n’étais pas le plus finaud, mais je mis de longues secondes avant de supposer que sa présence pouvait être fortuite. Cela n’expliquait pas tout en revanche, encore moins pourquoi j’avais autrefois enregistré sa présence. Les mains en l’air pour me menacer, je la regardais candidement, sans savoir où me mettre ni quoi penser. J’étais embarrassé, les joues rouges – pour ne pas changer, ou peut être légèrement plus que d’habitude – et les mains ballantes.

─ Comment, soufflais-je dans ma barbe. Je suis si con que ça ? Ne voulant pas perdre totalement la face, même si c’était bien engagé pour, je pris le parti de me ressaisir et de passer cette expérience désagréable sous silence. Oui, euh, oui, en effet. Perdu et décontenancé, l’idée d’un énième mensonge ne me traversa pas l’esprit. D’accord, d’accord. Je vais vous aider. Mais à une condition. Je dois vous parler après. Si vous tentez de vous échapper, je risque de me montrer un peu grognon.

Je m’approchais délicatement des deux jeunes femmes pour constater l’état de la blessure. Je n’étais pas très bon secouriste, mon talent résidait plutôt dans le fait d'infliger des blessures plutôt que de tenter de les réparer. J’essayais d’estimer les dégâts sans y parvenir.

─ Comment va-t-elle ? Elle va s’en sortir ? Je vais contacter des personnes de mon entourage pour nous aider. Des membres du Groupe de Libération des Mutants. S’il fallait s’occuper d’une des nôtres, il valait mieux l’emmener chez nous plutôt que dans des hôpitaux humains. C’était plus sûr, même si la différence de génome n’était pas manifestée physiquement sur la victime, un examen pouvait suffire à la dévoiler et à provoquer des négligences du personnel médical. Ne bougez-pas, je vais passer un coup de fil. Vous êtes une scientifique non, vous pouvez la maintenir en vie, pas vrai ?

Je me levais en appuyant sur ma cuisse pour me donner de la force, avant de me déplacer à quelques mètres, dans l’embranchement de la ruelle, pour appeler dans le calme des renforts. Avant de sortir mon téléphone, je me tournais une nouvelle fois vers la scientifique pour lui envoyer quelques mots : Je vous garde à l’œil. Mutante, hein ? Mon cul. La messe dite, j’appelais des militants à la rescousse. Raccrochant, je notais l’absence de l’agresseur, que j’avais pourtant savamment cogner en arrivant. Peut-être devions-nous nous attendre de nouveau à un peu de grabuge.

─ J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle : j’ai des amis pas loin qui viennent nous chercher en voiture pour nous ramener à une planque, avec une mutante capable de s’occuper d’elle. Par contre, j’ai perdu de vue votre petit pote-là. Je crains qu’il revienne avec des copains à lui. Il avait pas l’air du genre à lâcher l’affaire, le bonhomme.  Je me tus quelques secondes, la regardant fixement. Rendez-moi mes flingues. S'il vous plait. Rendez-moi mes flingues s'il vous plait.

Bon, la demoiselle soutenait mordicus que ce n’était pas une de ses connaissances. Je restais méfiant cependant, il fallait se montrer prudent avec ce genre de personne après tout. En réalité, j’étais probablement trop borné pour ne serait-ce qu’imaginer que je puisse me tromper sur ma cible et ses intentions. Pour me faire changer d’avis, il fallait se lever tôt et se montrer encore plus casse-bonbons que je ne l’étais moi-même : c’est-à-dire à quel point cela était difficile. D’un réflexe un peu idiot, impulsé par le fait que je ne pouvais écouter et penser en même temps – on fait avec ce qu’on a - pas de jugement, je répondis à son commentaire un peu trop rapidement en copiant son mécanisme de défense.

─ Ce ne sont pas mes potes ! Bien sûr que si, gros con. Elle ne parlait pas des possibles persécuteurs mais des membres du Groupe de Libération des Mutants, abruti. Enfin, oui, on se connaît quoi. On est des connaissances voilà. Hm, fis-je d’une voix grave. Je n’étais définitivement pas dans mon élément. Les longues discussions n’étaient pas mon fort. Ils devraient arriver rapidement je pense, une dizaine de minutes tout au plus. Enfin je crois, j’ai oublié de demander où ils étaient. Difficile à estimer.

Elle ne voulait pas me rendre mon flingue et j’étais prêt à lui prendre violemment des mains mon arme mais, elle userait sûrement de nouveau de ses artifices pour le subtiliser. Frustré de devoir marchander mes propres objets, je sifflais d’agacement avant de réceptionner mon autre revolver, que je soupesais pour connaître l’état de son chargement. Toutes les balles étaient présentes, bien, la demoiselle n’avait pas essayé de me couillonner.

─ Je vous poursuivais oui, c’est ce que je fais. Je traque les pourritures à la manière d’un GPS à trous du cul. Ça avait le mérite d’être simple et efficace, mais peut-être un poil trop vulgaire cependant. Mon truc à moi, c’est de suivre les saloperies que je renifle à des kilomètres à la ronde. J’ai votre présence en tête depuis des années, je ne sais pas pourquoi et je compte bien le découvrir. Et comme un enfant qui n’acceptait pas d’avoir le dernier mot, je répondis à la suite de sa tirade une phrase du même goût : Moi aussi, je ne vous fais pas confiance. Les gens qui se montrent trop gentils sont les plus vils. Je ne suis pas doué pour grand-chose, mais je me débrouille bien quand il s’agit de jauger les gens.

La chose dite, je pris un peu de distance pour observer les alentours, à la recherche d’alliés ou de futurs adversaires à mettre en déroute. Avec ma tête, il m’était un peu difficile de m’engager véritablement dans la rue, au risque de provoquer une émeute à mon encontre. Après de longues secondes de ce manège, une voiture se gara à l’embouchure. La porte passager étant ouverte, cela ne pouvait présager que d’une seule chose : les renforts étaient bien là pour nous sauver. Je retournais vers les deux femmes pour les avertir, aidant à porter la victime avant de m’enfoncer gauchement à l’intérieur du véhicule, après avoir laissé passer Darcy – l’empêchant par la même d’échapper à mes futures questions. Les regards des personnes présentes me firent l’effet d’une décharge électrique. Mais moins que les armes qu’ils tenaient dans notre direction.  

─ Ah. Ce ne sont pas mes amis, ça. Du tout même. Levant les bras en l’air, je montrais que j’étais inoffensif. On ne va pas se battre avec une blessée sur le siège à côté, si ? Vous ne voulez pas qu’on sorte tranquillement pour qu’on fasse notre affaire dehors ? Me tournant vers la scientifique, je lui chuchotais quelques syllabes avant de me jeter, cornes en premier, sur les bonhommes : Je vous laisse vous occuper des armes ?