Hey, brother - Louis

Inèj avait finalement réussi à me décider. Cette fille était la meilleure amie que j'aurais jamais pu espérer. Elle était parvenue à filer Louis pendant une semaine, pour voir ses horaires et quel moment serait le plus pertinent pour que je l'aborde. Et selon elle, c'était ce soir. J'étais juste en face de la porte de son immeuble, Inèj était invisible mais je savais qu'elle était quelque part, non loin, prête à me pousser vers mon frère si j'osais me soustraire à la rencontre.

Je rongeais mes ongles, fixant nerveusement la porte de l'immeuble de Louis. Et puis je l'ai vu. Mon petit frère. Sans m'en rendre compte, j'ai souris, et des larmes me sont montées aux yeux, mais sans les laisser couler, j'ai fermé les paupières, avant de les rouvrir et de m'avancer.

- Louis !

J'avais crié son nom, avant de réaliser qu'il ne devait plus se souvenir de moi. Ou de ma voix. Après tout, ça faisait seize ans qu'il ne m'avait pas entendue, et j'avais changé.

- Euh ... Je suis désolée, je ...

Une hésitation, un bégaiement. Ca ne me ressemble pas, mais j'avais tellement peur de mal faire, qu'il prenne peur et s'enfui, et de ne plus avoir l'occasion de lui parler !

- C'est Rose. Je sais que ... Ca fait seize ans mais ...

Et soudain, les mots se sont bousculés dans ma bouche, j'avais tellement de choses à lui expliquer, et je voulais tout lui dire avant qu'il ne pense que j'étais une usurpatrice.

- Le bateau a été pris dans une tempête, je me suis échouée sur la côte malgache, j'avais perdu mes souvenirs, je ne les ai retrouvés qu'au bout de dix ans, j'ai pas voulu t'abandonner, je suis tellement désolée je ...

Les larmes que j'avais retenues avant de l'aborder ont commencé à couler, irrépressibles. Il m'avait tant manqué, mon petit frère.

La journée n’avait pas été de tout repos pour le journaliste. Il avait commencé par une réunion de personnel sans aucun intérêt au bureau où il travaille, avant de devoir se presser de boucler sa dernière réponse pour les courriers du cœur. Heureusement, il avait pu retrouver Ted en fin d’après-midi pour parler de leur site internet. Si l’entrevue était restée strictement professionnelle, la bonne humeur et la joie de vivre de son collaborateur ne pouvait que mettre du baume au cœur du trentenaire. Louis adorait entendre le son de la voix de Ted, c’était comme une douce mélodie qui apaise à chaque fois les tourments de son cœur et de son âme. Un peu comme si parler avec lui pouvait résoudre comme par magie tous les problèmes que la vie plaçait devant lui. Néanmoins, il lui fallait rentrer chez lui, et après un dernier point sur ce qui restait à faire, il prit la route vers son petit appartement à Manhattan.

Louis ! Le trentenaire s’arrête brutalement devant la porte de son immeuble. Il reconnaît instinctivement celle qui a prononcé son nom, Rose. Si sa voix n’est pas totalement la même que celle qu’il connaissait, les ondes sonores qu’elle émet sont si familières qu’il en croit rêver. Le journaliste prend une grande inspiration. C’était forcément dans sa tête, Rose a disparu en mer seize ans plutôt. Elle était morte, sa grande sœur, il en était sûr. Pourtant, il entend à nouveau sa voix qui s’excuse. Elle poursuit, confirmant ce qu’il avait déjà compris bien que ça lui paraisse vraiment trop surréaliste pour être vrai. « Rose ? » Repète-t-il lentement. L’espace d’un instant, Louis craint véritablement d’être mort et d’avoir simplement retrouvé sa sœur dans l’autre monde. Percevant chacun des gestes de la femme face à lui, il a pourtant beaucoup de mal à croire qu’elle est véritablement là.

Un million de choses se bousculent dans l’esprit du journaliste qui essaye encore de comprendre ce qui est en train de se produire. Trop d’informations d’un coup, un choc émotionnel trop grand, il est complètement perdu et a besoin de faire le tri dans tout ce que sa sœur vient de lui annoncer. Si Rose semble réussir à trouver ses mots bien qu’elle paraisse hésitante, Louis ne peut prononcer la moindre chose. A ses pieds, Basker semble stressé. Le pauvre chien ne comprend pas cet arrêt imprévu dans le trajet pour rentrer, et ne connaissant pas la femme en face d’eux, il ne peut comprendre ce qui se passe. « Je suis désolé, tout ça paraît si étrange… Est-ce que c’est vraiment toi, Rose ? » S’il avait très clairement reconnu sa grande sœur, son esprit ne pouvait se résoudre à accepter la vérité. Il avance doucement sa main jusqu’à attraper le bras de sa sœur, comme pour vérifier qu’elle était bien là, devant lui, de peur que tout ça ne soit qu’un rêve.

Dans un geste assez impulsif, il tire sur le bras de sa sœur pour la faire venir entre ses bras et la serrer contre lui. S’il n’était pas certain qu’elle ne le repousse, ce geste était comme un réflexe incontrôlable. Après quelques secondes, il la relâche malgré tout. Loin de vouloir paraître envahissant, il préférait interrompre l’étreinte. « Est-ce que tu veux monter un peu ? J’ai tellement de choses à te dire, et tant de questions à te poser… » Et enfin, quelque chose le frappe. Avant d’aller plus loin, il faut qu’il lui parle de Maxence. Elle a disparu depuis si longtemps… « Et j’ai aussi quelque chose de difficile à te dire. On sera mieux à l’intérieur pour en parler. Enfin, si tu peux, bien sûr. » L’homme n’était pas certain que sa sœur serait d’accord, mais il n’avait pas de meilleure idée pour pouvoir lui parler tranquillement sans craindre d’être écouté ou même arrêté pour un contrôle.

Il m'a reconnue. Il m'a reconnue. La phrase tourne en boucle dans ma tête, je suis incapable de penser à autre chose. Louis m'a prise dans ses bras, soudainement, et je me suis laissée pleurer sur son épaule. A mon tour, je l'ai serré dans mes bras, une étreinte que j'attendais depuis six ans. Depuis mon retour aux Etats-Unis. Ah, il allait falloir que je lui dise, ça, aussi. Que j'étais de retour depuis bien plus longtemps qu'il ne le pensait.

Puis Louis s'écarta, me proposant de monter chez lui pour discuter plus tranquillement. Je lui ai sourit, même s'il ne pouvait pas le voir, et ai répondu :

- Bien sûr. J'ai beaucoup de choses à te raconter, moi aussi. Je veux rattraper les seize ans que j'ai passé loin de toi.

Puis il parle de quelque chose de difficile, et je fronce les sourcils. Qu'est-ce qu'il se passe ... Est-ce qu'il est en danger ? Menacé ? Je tuerais tous ceux qui tentent de lui faire du mal. Je me retourne un instant, le temps de faire signe à Inej que tout va bien, et nous entrons dans l'immeuble. Je suis Louis jusque chez lui, et nous nous installons dans son salon. Je reprends la parole, plus timide qu'à mon habitude.

- Louis ... Je suis vraiment désolée d'être partie. Et ma disparition, ce n'était pas volontaire, je te le jure. J'avais ... Je ne sais pas comment, j'ai dû me cogner, Inèj m'a récupérée dans un sale état, mais ... Je n'avais plus aucun souvenir. Je n'ai su mon nom qu'en regardant la médaille de l'armée. Je ... je me suis échouée sur les côtes malgaches, j'y ai vécu dix ans avec Inèj avant de me souvenir. J'aurais voulu revenir te voir immédiatement mais ... Mais je n'ai pas pu.

J'ai enfoui ma tête dans mes mains, à deux doigts de me remettre à pleurer. Je ne suis pas si émotive, habituellement, mais retrouver mon frère m'a tellement ... Secouée. Dans le bon sens du terme.

- Il faudra que je te présente Inèj, d'ailleurs. C'est elle qui t'a retrouvée. Je lui la doit la vie, et ... Enfin, elle est mutante elle aussi.

J'ai relevé la tête vers lui, avant d'ajouter doucement :

- Je suis tellement heureuse de te retrouver, Louis....

La respiration de Rose change légèrement, et avant même que les premières larmes de sa sœur n’atteignent son pull et Louis comprend qu’elle pleure sans même qu’elle n’ait besoin de sangloter. Il resserre légèrement son étreinte pour la consoler un peu avant de la relâcher et de lui proposer de monter. Le couvre-feu approche, et si Rose n’a pas à s’en soucier, le trentenaire ne peut se permettre de rester trop longtemps dehors et puis il n’a pas envie que les passants viennent troubler ce moment qui est déjà si surréaliste à ses yeux. Laissant Basker le guider jusqu’à son petit logement, Louis avance lentement, concentré sur les ondes sonores qu'émettent les bruits de pas de Rose. Quelque part, il a peur qu’en se retournant, il ne découvre que tout ça n’était qu’une illusion ou un rêve, et qu’elle ne soit pas véritablement là. Il a passé tellement de temps à espérer la retrouver qu’il ne pourrait survivre à une déception pareille.

Ouvrant la porte de son appartement, le trentenaire libère son chien de son harnais pour qu’il puisse retourner se laisser paresseusement tomber dans sa panière. Il s’écarte doucement, laissant entrer sa sœur avant de refermer la porte et de l’inviter à s'asseoir devant la table. Prenant place à côté d’elle, il reste silencieux et la laisse parler. Encore une fois, Rose s’excuse pour sa disparition, lui racontant qu’elle avait perdu la mémoire après un choc à la tête. Il l’écoute avec beaucoup d’attention.  « Je n’ai jamais pensé une seule seconde que tu étais partie par choix, tu sais ? » La voix légèrement tremblante sous l’émotion, le trentenaire poursuit.  « Je n’ai pas pensé une seule fois que tu m’avais abandonné. Je te mentirai si je te disais que ça a été facile, mais je n’ai jamais cru que tu ne voulais plus de moi. »

Il perçoit les mouvements de Rose alors qu’elle prend sa tête entre ses mains, et de nouveau sa respiration semble changer quelque peu. Délicatement, il pose sa main dans le dos de Rose dans un geste réconfortant. Il sourit légèrement.  « Je serai ravi de rencontrer Inej. Il faut que je la remercie d’avoir pris soin de toi pendant toutes ses années. » Répondit-il doucement. Rationnel, le petit Louis, il ne manquerait pas de poser un millier de questions à l’amie de sa grande sœur pour en apprendre plus sur elle. S’il fait parfaitement confiance au jugement de Rose, il lui faudrait apprendre à connaître son amie pour lui accorder sa parfaite confiance.  « Il n’y a rien au monde qui aurait pu me rendre plus heureux que de te retrouver, Rose. » Sincère et honnête, si le trentenaire avait perdu l’espoir d’un jour retrouver sa sœur, rien n’aurait pu lui procurer un plus grand bonheur.

« J’ai tellement de choses à te dire, je ne sais pas trop par où commencer. » Dit-il lentement. En vérité, il sait exactement ce qu’il doit aborder en premier. Il y a une question vraiment importante qu’il ne peut pas ne pas évoquer. Rose a le droit de savoir.  Le journaliste hésite un peu, cherchant ses mots. « Est-ce que tu as appris pour Maxence ? » Finit-il par formuler. « Il a eu un accident de voiture l’année dernière. J’aimerai te dire qu’il est parti vite et qu’il n’a pas souffert, mais c’est pas vrai. Ça a été long et douloureux. Je suis désolé. » Une vague de tristesse monte peu à peu jusqu’aux yeux du trentenaire qui laissent une larme couler le long de sa joue. S’il n’est pas du genre sentimental, Louis, il n’a pas encore totalement fini de faire son deuil, et c’est un sujet vraiment difficile à aborder. Pourtant, pour lui, c’est essentiel. Il fallait qu’elle sache.

Je ne m'attendais pas à ce que l'entendre me dire qu'il ne m'en voulait pas me fasse autant de bien. Il ne m'en voulait pas. Il ne m'en voulait pas. J'aurais pu danser de joie si l'émotion ne m'avait pas coupée les jambes. Il dit qu'il serait ravi de rencontrer Inèj et je souris. Inèj est ma meilleure amie et elle a tellement entendu parler de Louis qu'elle pourrait le reconnaître les yeux fermés. Puis Louis passe sur la "nouvelle difficile" et je baisse les yeux. Est-ce que j'ai appris pour Maxence ? Oui, j'étais là. J'ai même été à l'enterrement, mais je ne sais pas vraiment comment lui dire.

- Euh ... En fait je ...

Je bégaye, je m'embrouille dans mes mots. Je stresse.

- J'ai vécu avec Maxence à mon retour de Madagascar. Il ... Il voulait attendre le bon moment pour qu'on se retrouve. J'étais à l'enterrement, mais tu avais l'air si ... Perdu que je n'ai pas osé venir te voir. J'avais peur que ... Peur que tu sois trop choqué, que tu refuses de me croire.

J'ai à nouveau mis ma tête dans mes mains. Voilà, c'était dit. Maintenant, il n'y avait plus qu'à attendre sa réaction. J'appréhendais si fort ... Pendant 6 ans j'avais voulu le serrer dans mes bras, et maintenant que c'était fait il allait sûrement me détester et refuser de me revoir à nouveau.

- Louis, je ... Je suis désolée. Je voulais vraiment ... Pendant six ans je n'ai vécu qu'à travers toi, je t'ai observé de loin, je voulais tellement te parler. Mais Max pensait vraiment que je devais attendre, pour ne pas chambouler ta vie à nouveau. Et puis il est mort et je ... J'ai paniqué, je ne savais plus quoi faire ni où aller.

Les larmes roulaient à présent sur mes joues, comme des torrents de tristesse.

- Je suis désolée ...

Suis-je parvenue à gémir, entre deux sanglots.

Et soudainement, toutes les certitudes de Louis volent en éclat. Six ans déjà que sa grande sœur était de retour aux Etat-Unis et qu’il aurait pu la retrouver. Six ans de sa vie qui lui ont été volés par son grand frère. Pourtant, ça lui paraît si réaliste. Maxence a toujours été beaucoup trop protecteur avec lui, cherchant toujours à lui épargner la moindre petite souffrance, et le choc de retrouver Rose aurait pu déclencher un raz-de-marré d'émotions, de larmes, et de déception. Il reste silencieux, écoutant simplement le discours de sa grande sœur. La mort de son grand frère a été un moment vraiment difficile pour lui. En vérité, même si une année entière s’était écoulée, il était encore loin d’avoir réussi à faire son deuil. Il souffrait encore énormément de la disparition de Maxence et sans des amis précieux comme Ted ou Victoria, il aurait probablement sombré très profondément dans la dépression.

D’un geste réconfortant, il tire doucement sa sœur contre lui pour la prendre dans ses bras. S’il ne voit pas son visage, Louis perçoit son geste et ses sanglots qui lui suffisent à comprendre qu’elle a besoin de lui.  « Maxence a toujours été trop protecteur. Je ne suis pas étonné qu’il ait voulu me protéger. » Commença-t-il, d’une voix légèrement tremblante d’émotion. Lui aussi, il aurait pu fondre en larmes sans vraiment savoir s’il aurait pleuré de joie ou de tristesse.  « Est-ce que tu as un endroit où vivre ? J’ai hérité de la maison de nos parents après la mort de Maxence, tu peux la récupérer si tu veux. » La question est légitime et il est sincèrement inquiet. Bien que sa soeur lui ait dit que Inej prenait soin d’elle, c’était son rôle de frère que de se soucier de son bien être.  

La tristesse et les larmes, ce n’est pas vraiment l’idéal pour des retrouvailles. Aussi, le trentenaire s’efforce d’essayer de consoler sa sœur en la serrant doucement dans ses bras.  « Dis moi plutôt ce que tu es devenue, depuis tout ce temps. Est-ce que tu as réussi à trouver un poste ici ? Est-ce que tu vas rester ? ». L’envie de poser encore plus de questions est présente, un peu comme une déformation professionnelle, mais il se retient. Le journaliste doit laisser le temps à sa soeur de répondre avant de l’inonder d’un flot de questions qui finirait par la perdre.

Je n'osais plus relever la tête, de peur de voir la déception, la colère, voire même la haine sur le visage de mon frère. Je ne l'aurais pas supporté. Mais la phrase qui sort de sa bouche n'est pas une phrase haineuse ou déçue. Maxence a toujours été trop protecteur. Oui, oui, c'est le cas. Comme il a voulu la protéger elle, quand elle est revenue, même si elle n'en avait pas besoin.

Louis a ce côté protecteur aussi, comme Maxence. Ses paroles suivantes le prouvent, et j'ai sourit à travers mes larmes. Il m'avait tellement manqué ...

- Inèj et moi sommes en coloc dans un appart dans le Bronx.

Il me demande ce que je suis devenue, et je sourit.

- Je suis barmaid, j'ai trouvé un petit travail dans un bar en dessous de chez moi. Ca paie pas beaucoup, mais c'est suffisant pour vivre. Et oui, je vais rester, bien sûr. Je t'ai enfin retrouvé, je ne compte pas partir de sitôt. Et puis Inèj se plait ici, elle n'avait jamais vu une grande ville avant, elle adore découvrir New York, et moi je redécouvre avec elle. Je me suis rendue compte que j'ai oublié pas mal de trucs de cette ville.

La perte de ma mémoire a été un grand choc, mais quand je l'ai retrouvée et que j'ai compris que certains de mes souvenirs ne reviendraient jamais, ça a été pire. Heureusement, je n'ai pas oublié le visage de mes frères. J'aurais pu les reconnaitre n'importe où.

- J'ai oublié beaucoup de choses de notre enfance. Et parfois, j'ai même du mal à parler anglais. Mais je m'y fais. Et toi ? Tu fais quoi de ta vie ?