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The sun is fun, the land is dandy | Adrian

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The sun is fun, the land is dandy
taking back the number of the beast

Un long soupir s’échappe de ses lèvres, la main tremble, excitation, énervement ou peur? Le blond ne sait jamais vraiment. Il regarde vers le comptoir de la cuisine, les yeux glissent sur la petite boîte en plastique et avec un effort presque monstre, Archie se lève pour avaler ses pilules. Il sait qu’il devrait se préparer, prendre ses affaires et partir mais quelque chose le paralyse? Quoi? Incapable de mettre le doigt dessus l’homme grogne simplement en se passant la main dans les cheveux.


Peut-être de la peur, peur de revoir un ami qu’il a eu autrefois et qui est comme une impression d’appartenir à une autre vie. Et pourtant? Archie n’a pas changé, est resté le même toutes ces années durant. Et si c’était l’autre le changement?

Le chercheur repousse l’idée d’un simple clignement de paupières avant de se diriger dans sa chambre et de se préparer à partir. Qu’a-t-il à craindre de voir un ami peut-être un peu différent? Rien? C’est dans les rues que les choses peuvent être compliquées et cependant il ne fait mine de rien, comme si l'idée ne le touchait pas. Mais elle ne le touche pas, elle ne te touche pas, pas vrai Archie? Intrusive, il s'en débarrasse en attachant un nouveau bouton sur sa chemise. Le voilà qui se bat un bien long instant avec un pli avant de l'abandonner et de s'intéresser aux lacets de ses chaussures.

Archie n'est pas vraiment connu pour son look, la fâcheuse manie de vouloir mettre des chaussettes fantaisies différentes à chaque fois que l'occasion se présente, le place déjà comme un sujet à questionnement. Souvenirs de la conférence à laquelle il avait assisté habillé d'un short. Oui, Archie n'est pas vraiment la dernière des fashionista. Mais le monde ne lui en tient pas rigueur, la sortir d'aujourd'hui ne nécessite pas un habit particulier, pas vrai? Il se questionne un court instant avant de souffler et de refermer l'armoire, presque sûr de son choix.

Les rues sont aussi animées qu’un autre jour et il marche comme si le monde lui appartenait, presque peur de se faire marcher dessus par n’importe qui. L’endroit n’est pas très loin et en tant qu' anxieux de profession, Archie fait la liste de tous les sujets qu’il devrait éviter en face d’Adrian. Impression de déjà décevoir l’autre, il va, bien obligatoirement, devoir aborder les sujets qui fâchent. Il souffle un instant avant de rentrer dans la boutique et de regarder aux alentours.

En avance, parfait. ou alors il ne compte pas venir, il n’a pas prévenu mais il n’a pas envie de te voir Archie.

Chasse la pensée une nouvelle fois. “Hm, un mocha blanc en, grande taille?” Envie de sucre pour battre la peur dans son esprit. Il se pose dans un siège sur la mezzanine et prend quelques instants pour regarder les gens.

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How to decay gracefully

Parfois, Adrian se sentait vieux.
Alors oui, il avait encore toutes ses dents et s’il lui arrivait de s’arracher un ou deux cheveux blancs certains matins, cela ne le perturbait pas au point d’en perdre le sommeil. Pourtant, de temps à autre, il éprouvait le poids des ans, comme une chape invisible qui le recouvrait entièrement. Mais jamais quand il croisait son reflet dans le miroir, étrangement. Non, c’était toujours lorsqu’il redécouvrait un visage connu après une longue période d’absence et que les souvenirs remontaient doucement à la surface. Il s’émerveillait des rides qui avaient fait leur apparition au coin des yeux ou encore des joues rondes qui s’étaient creusées, si familières et si différentes à la fois. Adrian n’était pas de ceux qui paniquaient à l’idée de prendre de l’âge. Sa formation de généticien lui avait donné une image très précise des changements que tout corps était amené à subir au fil des années et il acceptait cette marche inéluctable avec philosophie. Ce qu’il redoutait, c’était le fait d’être confronté au récit de la vie des autres, puisque cela le forçait à réfléchir à ce qu’il avait fait de la sienne.
C’est pourquoi revoir un vieil ami l’emplissait autant d’espoir que de crainte.

Il avait rencontré Archie Ramsey à l’université, presque vingt ans plus tôt. S’était laissé déborder par son enthousiasme enfantin et avait passé des heures à l’écouter parler du gène X, public silencieux mais attentif qui prenait des notes tout en faisant semblant de l’ignorer. À l’époque, Adrian ne s’intéressait que de loin à ces histoires, préférant se cantonner au programme de ses cours, déjà bien chargé. Mais sa retenue avait fini par s’effriter face à la persistance d’Archie. À travers lui, il avait découvert un monde dont il ne soupçonnait pas l’existence, encore à défricher, alors quand Trask Industries lui avait offert l’opportunité de poursuivre son exploration, il n’avait pas hésité. Cela avait été le début d’une époque et la fin d’une autre, et Archie et lui s’étaient petit à petit retrouvés sur des rives opposées.
Aujourd’hui, ils allaient tenter de combler la distance.

Adrian était en retard. Il avait tout fait pour ne pas l’être mais sa réalité l’avait rattrapé, malgré les post-its qu’il avait accroché un peu partout dans son appartement et sur lesquels il avait écrit en grand l’heure et l’adresse de leur rendez-vous. Un instant, il se tenait sur le pas de sa porte, prêt à partir, et celui d’après, il se demandait s’il avait bien pensé à fermer le robinet de la cuisine. Le temps qu’il vérifie, il avait déjà oublié qu’il était censé se rendre quelque part. C’est donc avec trente minutes de retard qu’Adrian franchit les portes du café presque en courant, balayant frénétiquement la pièce du regard avant qu’il ne repère Archie un peu plus haut sur la mezzanine, assis seul à une table. Il lui fit un signe maladroit de la main avant de monter le rejoindre.
Le chercheur avait déjà un gobelet devant lui.

Désolé, parvint-il à articuler en tâchant de reprendre son souffle. Problèmes de métro.” Ce qui n’était pas la plus créative des excuses mais ça sonnait toujours mieux que mon cerveau est une passoire depuis “l’accident” mais je préférerais mourir plutôt que de l’admettre. Il s’assit en face d’Archie, un peu gêné sans trop savoir pourquoi. Ils s’étaient connus à une période de sa vie où il enchaînait les erreurs de jeunesse, enivré par sa liberté récente et désireux de chasser le stress des examens quel que soit le moyen. Il ne voyait pas en quoi prendre un café ensemble pouvait être pire que ça.
Là encore, c’était peut-être ça le problème.
Beaucoup de choses avaient changé depuis.

Adrian se saisit de la carte pour éviter d’y penser mais se figea en réalisant qu’il était incapable de déchiffrer les lettres minuscules qui s’étalaient sous ses yeux. Il avait oublié ses lunettes à la maison. “Je vais prendre ça, dit-il au serveur en lui indiquant une ligne au hasard, s’en remettant à la chance.” Puis, reportant son attention sur Archie, il ajouta : “Tu veux quelque chose d’autre ? C’est moi qui offre. Pour me faire pardonner.

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Il ne viendrait pas, pas vrai? C’était plus que de la peur qui avait grandi dans l’esprit d’Archie. C’était quelque chose d’amer, comme cette profonde idée d’être déçu sans pour autant être surpris. Le blond avait repris son café, avait commencé à siroter avec une sorte de désinvolture qu’on trouve sur ceux qui se cachent du regard des autres. Il tenait l’affiche, pas comme celui à qui on pose un lapin. Archie en avait mangé des lapins, nombreuses personnes qui le trouvaient amusant mais quand les choses devenaient sérieuses elles n’avaient que peu d’intérêts. Et pour cela, il n’avait jamais eu qu’Archibald dans sa vie. L’idée de l’homme le fit grimacer et Archie but une nouvelle gorgée, bien trop chaude qui lui brûla l’intérieur de la gorge. Il grimace, repose avec regret la tasse sur la table et attrape son téléphone pour faire comme si de rien n’était.

L’homme regarde aux alentours, cherche  quelqu’un du regard qui ne semble pas vouloir pointer le bout de son nez. Il ouvre tumblr et scrolle quelques instants avant de fermer de nouveau, un soupir sur les lèvres. Zieute l’heure, heureuse amertume de la brûlure sur les lèvres, jette un regard en contrebas, l’ennui qui s’inscrit dans ses gestes. La jambe refuse de ne pas bouger et les doigts tapent en rythme avec la musique qui passe en fond. Il faudrait qu’il se lève, qu’il fasse le tour de l’endroit, qu’il trouve de quoi s’occuper. Regarde par la fenêtre, en contrebas. Une voiture rouge. Deux voitures rouges…

Archie ne sait pas réellement combien de temps a-t-il dû attendre, le regard perdu sur les voitures qui passaient dans la rue sans sentir une seule vibration de son téléphone. Nouvelle activité qui lui occupe l’esprit jusqu’à ce que ses yeux se posent sur le visage en contrebas. Visage harmonieux, les yeux sont happés aussi rapidement qu’ils se posent. Adrian a bien grandi. Voir le visage de l’autre le fait sourire presque comme un enfant et Archie est simplement heureux de voir ce visage si timide autrefois.

Faucon perché tout là-haut, il regarde le temps que l’autre le rejoint et il ne sait pas s’il doit se lever pour serrer la main, ne sait pas trop comment interagir et il préfère ne rien faire, lui offre un sourire qui se veut aussi doux que possible. Archie n’est pas particulièrement doux, enfin, c’est ce qu’il aime à croire puisqu’on a tendance à le comparer à un labrador. Le sourire qu’il a sur les lèvres est aussi franc que la joie qu’il a dans le cœur de revoir quelqu’un comme Adrian, bien que la peur pour l’autre soit quelque part au fond de son cœur.

“Barf, t’en fais pas, je n’attends pas depuis si longtemps”
Regarde l’écran du téléphone. “- c’est pas grave.” Toujours à brosser dans le sens du poil, que ça soit 10 minutes ou 3 heures, Archie n’aurait rien dit, seulement sourit et apprécie que l’autre homme soit venu. Un peu d’inquiétude sur le regard bien qu’il détaille le visage de l’autre. Il est beau, foncièrement agréable et Archie se met à rougir avant de regarder de nouveau vers la rue. “Non ne t’en fais pas j’ai encore-” La tasse se trouve vide et il grimace. “Je vais reprendre la même chose du coup. Merci.” Hoche la tête, reconnaît qu’il pourrait se payer son café très certainement mais il apprécie l’attention.

Archie attend que le serveur s’en aille avant de chercher le regard d’Adrian, regard compatissant. “Tu as l’air fatigué.” Un commentaire tout à fait droit au cœur et Archie se pince pour se retenir d’en dire plus. Les pensées qui dépassent ses lèvres, une habitude aussi désagréable qu'inarrêtable. “Désolé- je, enfin, ça doit pas être simple tous les jours.” Et des banalités qui sortent de sa bouche, Archie se passe la main sur le visage, regarde l’autre. “Est-ce que ça va?” Phrase avec laquelle il aurait dû commencer.


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Menteur, a-t-il envie de lui rétorquer quand Archie lui assure que son retard a été à peine remarqué. Il y a des signes qui ne trompent pas, comme la tasse vide, le portable sur la table, l’air à mi-chemin entre la surprise et le soulagement. Une pointe de culpabilité voletait à la lisière de sa conscience mais Adrian se dépêcha de la chasser d’un revers de main mental. Archie avait toujours été trop indulgent pour son propre bien. Il le savait, avait même compté là-dessus lorsque la possibilité de le revoir s’était faite de plus en plus tangible, parce qu’un autre que lui aurait sans doute profité de l’occasion pour lui envoyer ses erreurs en plein visage, mais pas Archie. Et c’était cette certitude qui avait fini par le convaincre.
Adrian ne cherchait pas l’absolution mais un peu de sympathie en ces temps troublés était un luxe qu’il s’imaginait mal refuser.

Il fit semblant de ne pas voir les joues d’Archie s’empourprer, ni ses yeux éviter les siens, parce qu’il était habitué à ce qu’on ne puisse plus le regarder en face depuis que ses agissements au sein de Trask Industries étaient devenus publics. Il ne pouvait pas en vouloir à son ancien mentor, surtout connaissant ses convictions. Qu’il accepte de le rencontrer était déjà inespéré, il n’allait pas en plus lui reprocher de ne pas sauter de joie. Le serveur emporta la tasse vide avec lui, les laissant seuls, et Adrian se mit à arracher des petits bouts de nappes en papier pour calmer ses nerfs. Et puis, Archie ne put s’empêcher de pointer du doigt le fait qu’il avait une sale gueule, ce qui lui valut un regard sévère de la part d’Adrian. Merci, je suis au courant, songea-t-il avec un brin d’amertume. Étrangement, les tentatives maladroites de son vieil ami pour corriger le tir l’amusèrent presque malgré lui. Il y avait quelque chose de fascinant dans la manière dont les gens dansaient autour du sujet qui fâche, sans jamais oser l’aborder directement. Alors Adrian, c’est vrai que tu as failli mourir ? C’était comment, l’hôpital ? Oh, tu as du mal à retrouver du travail ? Tu ne penses pas que tu le mérites un peu ? Après tout ce que tu as fait à ces pauvres mutants…

Il eut presque l’impression de voir le moment exact où Archie décida de repartir à zéro, en s’aventurant sur des terrains moins risqués. “Ça va, merci, répondit Adrian, l’air impassible. Ce n’est pas comme si j’étais mort.” Sa voix était dénuée de la moindre émotion mais ses yeux avaient retrouvé une étincelle d’humour ironique. Ils fixaient le chercheur sans broncher, le défiant à moitié de lui demander ce qu’il avait vraiment envie de savoir. Il n’était pas si fragile. “Et toi, comment vas-tu ? Ça fait longtemps. Tu as l’air en forme.
Je pensais ne plus jamais te revoir.

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“ça va, merci”

Lève un sourcil, si l’un ment, l’autre aussi. Une évidence aussi grosse qu’elle ne peut être adressée et Archie ne fait que hocher la tête d’une façon absente, fait lui croire qu’il marche dans le mensonge mais le blond sait que partager ses sentiments n’est jamais chose facile et il n’ose pousser plus loin. Archie n’a eu personne quand il avait des problèmes de son côté, personne pour lui poser des questions ridicules comme celle qu’il vient d’étaler sur le visage de l’autre homme, personne pour appuyer là où ça fait mal. Zieute le visage de l’autre, cherche à savoir si la voix sans émotion est un bon signe ou non. Mais Archie n’est pas le meilleur pour lire les sentiments, pas toujours fait pour comprendre ce qui se passe dans les rouages cérébraux.

Sourire bercé de lumière, bien loin le Archie qui ne pouvait que balbutier quelques mots sous effets de lourdes doses d’alcool. Souvenir pas si lointain et peut-être que son foie s’en remet encore, c’est vrai qu’il a l’air plus en forme que quelques années auparavant, moins attaqué par les bribes de la vie.

“Longtemps c’est presque un mensonge j’ai l’impression. Une éternité. On était presque encore des gamins la dernière fois qu’on s’est vu.” Offre lui le sourire de celui qui vieillit, qui voit les années qui passent et qui ne s’accrochent pourtant qu’à très peu. Hoche la tête, repousse les lunettes de nouveau. “J’ai la chance d’avoir pu retomber sur mes pieds oui.” Pas envie de partager plus, ton trauma infime, gamin gâté quand tu le changes contre celui de l’homme en face de toi. “On en a fait du chemin depuis qu’on était grand et glorieux.” Parce qu’ils ne le sont plus, un nouveau pas vers la décadence.

Le blond se rapproche, pose ses coudes sur ses genoux, essaie de battre la façon dont son genou tente de sautiller, concentre son esprit sur la conversation, une chance que l’autre happe comme toujours son attention. Le sourire qui se fane, une envie de saisir la main de l’autre, d’être sûr qu’il est vraiment là, en face de lui, pas seulement un fantôme qui n’existe que dans ses envies. “Je n’ai pas essayé de prendre contact plus tôt, je m’en excuse. Je n’ai pas envie que tu penses que je reviens vers toi seulement à cause de ton accident. J’ai- j’ai eu une période quelque peu…” Vision trouble, replonge un court instant dans les souvenirs, comme à son habitude et les pensées qui divaguent, sautent d’humeur qui menace à l’horizon. La main enserre le genou et il lui faut une courte durée de temps pour finir sa phrase. “-difficile. Période difficile.”

La gorge sèche, Archie se repousse dans le siège, position qui ne lui offre plus aucun contrôle. Offre un pâle sourire à l’autre. “Désolé, j’ai beau travailler sur des façons d’améliorer l’être humain, j’arrive jamais à améliorer ça!” Chasse le sentiment qui monte sur les joues. “Tu te remets?" Saute du coq à l’âne. “Au moins tu peux-” Frotte son front avec dédain envers sa personne. “Tu sais quoi, je te laisse parler jusqu’à ce qu’on nous ramène à boire et que je puisse faire deux choses en même temps.”


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Archie avait raison.
La dernière fois qu’ils s’étaient vus, ils n’étaient que des gamins. Aussi brillants que naïfs, confiants mais impulsifs. Ils avaient le monde à leurs pieds et refusaient de croire en l’échec. Le genre de têtes brûlées qui avaient aujourd’hui le don de faire naître un sourire indulgent sur le visage vieilli d’Adrian. Les années avaient peut-être consumé leurs illusions, mais il en décelait encore une étincelle au fond du regard de son ami, comme un espoir tenace, à moins que ce ne soit sa propre nostalgie qui lui fasse imaginer des choses. Il n’était pas sûr que le chemin évoqué par Archie ait été à la hauteur de leurs ambitions, mais au moins il les avait menés jusqu’à ce jour, où les anciennes rancœurs s’effaçaient derrière une timide tentative de réconciliation. De tous les détours qu’il avait empruntés pour en arriver là, c’était l’un des rares qu’il ne regrettait pas.

Il n’a pas tant changé que ça, songea Adrian avec amusement, quand le genou d’Archie se mit à battre le tempo sous la table. Toujours aussi énergique, comme s’il n’y avait pas assez de place dans son corps pour contenir toute sa passion. Déjà autrefois, il peinait à suivre le rythme imposé par les lubies de son ancien mentor. Il préférait le laisser mener la danse, feignant d’être surpris lorsque la situation dégénérait alors même qu’il l’avait prédit dès le début.
Ses excuses le prirent au dépourvu, tout autant que son ton vacillant. Le temps et la distance avaient figé dans sa mémoire l’image qu’il s’était construite d’Archie, celle d’un homme que rien ne semblait pouvoir abattre, ni les rumeurs ni les insultes. Il était toujours révolté, toujours présent, toujours altruiste, sa bonne humeur comme une armure qui le rendait invincible. L’entendre avouer ses failles, même à demi-mot, teintait les souvenirs d’Adrian d’une couleur étrange. Il réalisa tout à coup qu’il l’avait longtemps idéalisé, oubliant sa fragilité sous la façade bravache. Une pointe de regret lui transperça le cœur. Il repensa à l’appartement vide qui l’avait accueilli à sa sortie de l’hôpital et il se demanda si Archie avait ressenti la même solitude pesante lorsqu’il avait traversé sa période difficile. Quel gâchis, pensa-t-il amèrement. “Ça ne m’aurait pas dérangé, dit-il un peu trop précipitamment. Que tu te serves de l’accident comme prétexte. Et tu n’as pas à t’excuser. Moi aussi, j’aurais pu…” … décrocher le téléphone, envoyer une lettre, frapper à ta porte… Il haussa les épaules, l’air de dire tu vois, sans oser finir sa phrase.

La fébrilité d’Archie faisait écho à la sienne, plus retenue, plus discrète. Il y avait quelque chose de réconfortant dans le fait de savoir qu’il n’était le seul à naviguer dans le noir. De nouveau, il s’excusa et avant qu’Adrian puisse lui assurer que ce n’était pas grave, le chercheur lui rendit les rênes de la conversation. Déstabilisé face à sa curiosité, il paniqua un instant, cherchant les mots adéquats, ceux qui ne trahiraient pas sa santé mentale défaillante. “Il n’y pas grand-chose à dire. Tu as dû lire les articles.Un généticien impliqué dans la torture de mutants à Trask Industries ? Découvrez notre enquête exclusive en page 3 !Je cumule les petits boulots. Je rends visite à ma mère. Je bouquine. Rien de très intéressant.J’ai été réembauché par Trask Industries il y a quelques mois mais ça, je ne sais pas comment te l’avouer. Je n’en ai même pas le droit.Mais je vais bien. Vraiment. C’est mieux comme ça.La semaine dernière, quelqu’un a fait tomber un verre par terre au travail et j’ai dû m’enfermer dans les toilettes le temps de me calmer, parce que j’ai cru que c’était le bruit d’une explosion.Et toi, qu’est-ce que tu deviens ? Est-ce que tu…” Une seconde d’hésitation. “Est-ce que tu veux parler de ta période difficile ?” Parce qu’il se sentait prêt à écouter. Il se sentait prêt à beaucoup de choses.

C’est à cet instant que le serveur revint avec leurs commandes, déposant un gobelet en carton devant Adrian qui fronça les sourcils, intrigué. Il but une gorgée prudente et dut se retenir de grimacer, peu enclin à avouer son erreur.
De la soupe.
Juste ce qu’il détestait.
Parfois, il avait envie de se frapper.

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Offre lui un fin sourire. C’est normal dans la vie, une habitude qui est que les uns et les autres se laissent un jour pour se retrouver un autre, habitude que les gens ne sont jamais que des pions dans la vie d’autrui et qu’Archie a l’habitude de voir disparaître les uns après les autres. Regard dans le passé qu’il n’est jamais bon d’observer, souvenirs de personnes qui frottent ses souvenirs comme quelque chose de désagréable. Souvenirs qui sont aussi doux que du papier de verre qu’il préfère oublier.

“Je sais bien.” Hoche la tête doucement, sensation d’être à un entretien d’embauche avec toutes les situations désagréables qui en découlent. Pourtant il connaît l’homme, ami de longue date avec toutes ces choses qu’ils ont pu se dire plus jeune. Il connaît sans vraiment savoir tout ce qu’il est devenu. Nouvel homme, nouvel être de lumière ou qui sombre dans la pénombre. “On aurait pu tous les deux faire quelque chose et on ne l’a pas fait. C’est pas grave.” Mais ça l’est, ça l’est et les pensées qui vagabondent avec violence dans le cerveau d’Archie sont bien l’image qui indiquent que c’est important. Il n’a pas été capable d’être un adulte cordial, un bon ami qui n’avait pas de conscience.

Le blond soupire, claque l’élastique à son poignet, il déteste les émotions qui se trimballent dans son cerveau et déteste l’idée qu’il se trouve tout à fait ridicule dans l’immédiat. Offre-lui un nouveau regard, histoire de fuir le sujet précédent. Mais le sujet reste le même, l’accident d’Adrian est comme un souvenir constant, une amertume qui s’est collée à tous les murs et que chaque membre de la maison ressent à chaque instant. “J’ai-j’ai lu.” Souvenir de l’instant où il avait reconnu le nom sur le journal. Ce dernier avait tourné un instant, trop long pour se souvenir dans l’immédiat de qui était-il et puis la lumière, la peine.

Il n’est peut-être plus proche mais pendant un court instant Archie sait, sent quelque part que l’autre lui ment à peine. Le mensonge pourrait être léger, simple puisqu’il affirme que c’est pour le mieux. Et Archie sait que si l’on venait à lui retirer son travail, alors non, ça n’irait pas. Aussi mauvais soit son travail. Le blond lui offre un mi-sourire. “Je ne peux pas dire que c’est mieux parce que je suppose que tu aimais ton travail…” Les mots sonnent faux. “Enfin, tu aimais l’idée d’être médecin, scientifique je suppose.” Il se mord la lèvre, envie de rester poli mais- “Mais c’était mal ce que tu faisais. Alors je suppose que quelque part c’est pour le mieux.”

Claque intérieure. Non Archie, ce n’est pas pour le mieux. Tu es censé aider ton ami et là tu ne fais que l’enfoncer. “Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, je suis désolé. Ton accident n’a rien de positif, au contraire. Juste- laisse tomber.” Attrape le gobelet vide, presque à mordre dedans pour trouver la paix avec lui-même, sac à merde qu’il est.

Offre un mi-sourire, refuse de croiser son regard avec l’autre homme, tant de gentillesse qu’il n’est même pas sûr de mériter. “Non, c’est pas très grave, j’ai juste eu un temps sous l’eau, c’est pas comme si je pouvais me plaindre à toi.” Et l’idée gratte encore et encore tandis qu’il regarde le serveur déposer les gobelets devant eux. “Oh de la soupe!” La joie grandit dans le coeur du grand gamin et il lui faut une seconde à peine pour voir que l’autre n’a pas l’air heureux de son choix de boisson. “Tu veux- tu veux échanger peut-être? J’adore la soupe.” Il n’y a pas de temps pour la soupe, c’est une évidence. Repousse l’idée qui buzz encore et encore dans sa tête en le laissant choisir s’il désire la soupe mais l’idée va s’échapper et- “Pourquoi t’as décidé de travailler là bas? Pourquoi tu t’es dit que torturer les mutants c’était une chose à faire? On avait développé une vraie adoration pour eux, non?” Trop tard. L’idée s'échappe et Archie claque l’élastique à son poignet. Putain.


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