Twisted games (ft. Amalia)

Depuis que l’Institut avait pris de l’ampleur et que de nombreux mutants se proposaient volontaires pour les missions de repérage ou de sauvetage, le doyen se voyait de moins en moins sollicité pour prendre part à ces activités. Il n’avait pas réalisé à quel point cela l’avait affecté jusqu’à ce qu’il se retrouve au beau milieu d’une opération du GLM qui visait à empêcher des persécuteurs de s’en prendre à de jeunes mutants cachés dans les sous-sols de la bibliothèque. Le fait de ne pas avoir été au courant de ces événements l’avait déstabilisé, lui qui veillait tant à ce que l’Institut garde une longueur d’avance sur les informations récoltées via les communiqués policiers qu’ils interceptaient tous les jours. Soit quelqu’un avait négligé son boulot cette fois-là, soit on avait oublié de lui transmettre l’information — dans les deux cas, il s’en était retrouvé grandement vexé.

C’est pourquoi il s’était particulièrement impliqué ces derniers jours pour suivre toutes les actualités concernant les porteurs de gène X au large ; il regardait les nouvelles dans les médias et exigeait qu’on lui fasse des rapports écrits sur les communiqués que les hackers de l’Institut étaient en charge d’écouter. Oui, Darius Sinclair tapait sur les nerfs de certains, surtout lorsqu’il se servait de sa position d’autorité pour obtenir ce qu’il voulait. Mais pour un homme qui aimait tant être en contrôle, la fin justifiait parfois les moyens.

Cette journée-là, une nouvelle digne d’intérêt lui était parvenue dans l’un des rapports : un jeune mutant s’était apparemment transformé en bûcher humain suite à une altercation dans une boutique, incendiant tout ce qui se trouvait sur son passage. Quelqu’un l’aurait ensuite vu reprendre une apparence normale, comme si les flammes ne l’avaient pas affecté, avant de s’enfuir avec l’aide d’un autre mutant ayant brouillé les traces. Autant la police que les persécuteurs étaient à sa recherche.

Vu l’âge présumé du garçon, Darius se doutait que l’événement était un accident. Mais les mesures anti-mutantes du Civil Rights Act ne faisaient pas cette distinction. C’était l’une des raisons pour lesquelles l’Institut se faisait comme mission de recueillir ces jeunes avant que le reste de leur vie soit condamnée par les mesures injustes d’un gouvernement opprimant.

Grâce aux efforts combinés des mutants de l’Institut, une location avait été ciblée comme lieu de cachette le plus probable pour le jeune recherché. Il s’agissait d’une adresse au cœur d’un milieu défavorisé du Bronx, où habitait un membre éloigné de la famille du mutant. Darius s’y rendit accompagné de deux alliés, mais demanda à ceux-ci de l’attendre à l’extérieur du bâtiment pour surveiller les alentours. De plus, un étranger était moins intimidant que trois aux yeux des gamins effrayés dont il avait l’habitude.

La porte d’entrée était déverrouillée et Darius se retrouva dans une maison miteuse qui semblait complètement abandonnée. Il n’y avait presque aucun meuble et encore moins de signes de vie.

“Josh ?” appela-t-il, ayant mémorisé le nom de l’adolescent.

Le vampire continua d’arpenter les pièces, ayant l’étrange sentiment qu’ils ne s’étaient pas trompés. Ce sentiment s’amplifia lorsqu’il entra dans le salon et aperçut un téléphone portable sur le sol, encore chargé, signe qu’il avait été échappé il n’y avait pas si longtemps. Il se pencha pour ramasser l’appareil, espérant trouver des indices supplémentaires. Alors qu’il examinait le contenu du téléphone, il entendit soudainement des battements de cœur qui semblaient provenir de la pièce d’à-côté. Quiconque se trouvait là se tenait immobile, mais l’ouïe de Dracula ne trompait pas.

“Josh ?” dit-il à nouveau. “Je suis ici pour t’aider, tu n’as rien à craindre.”

Mais alors qu’il se leva pour aller à la rencontre de Josh, la silhouette se montra dans le cadre de porte. Celle-ci n’avait cependant rien à voir avec la figure d’un adolescent pré-pubère. Darius reconnut immédiatement celle qui l’avait poussé du toit de l’hôtel cette nuit-là, le laissant à son compte après qu’il lui ait dévoilé la partie la plus profonde de son être.

“Vous…”

La colère était flagrante dans son visage. Sans réfléchir, il se précipita vers elle de sa rapidité fulgurante pour la plaquer contre le mur. Mais il se rappela aussitôt ce qui pouvait se passer si elle lui touchait la peau et se désengagea aussi rapidement qu’il avait bondit.

“Que faites-vous ici ?!”

Assez de temps s’était écoulé depuis la soirée en question pour que Darius ait cessé de repenser aux événements, mais voilà que les émotions enterrées refaisaient surface à la vue de celle qu’il n’avait pas pardonnée.  

Encore un tour forcé au laboratoire pour être examinée. Une vilaine habitude que tu cautionnes de moins en moins. A croire que l'équipe de recherche tente de te laminer, venir à bout de ton mental d'acier mais tu es trop fière pour faiblir, montrer une parcelle de vulnérabilité. Cependant, quand ton superviseur vient te chercher pour une mission de la plus haute importance, tu ne peux retenir un soupir de soulagement. Sauvée in extremis par la misère d'un autre. Le débriefing est rapide, bref, tu reçois le reste des informations dans la voiture te conduisant vers le Bronx. Un des nombreux lieux à explorer afin de débusquer la cible. Trois équipes sont affectées à cette traque, ce qui représente un nombre considérables d'agents de service mais les pyromanes sont assez difficiles à attraper. Heureusement pour toi, tu es allée voir votre nouvelle reine de neiges pour un petit plein de ton réservoir personnel. Histoire de ne pas te retrouver avec des brûlures à soigner. Seul bémol, tu es frigorifiée, n'ayant pas vraiment eu le temps d'apprendre à maîtriser les particularités de ce gène X récemment capturé.

« On peut augmenter le chauffage ? » La température du véhicule frôle bientôt les 34 degrés, rendant presque l'air irrespirable pour tes collègues mais par chance, vous arrivez en quelques minutes au point de donnée. Ils entrent les premiers dans la maison, discrètement. Tu refermes la porte derrière vous pour ne pas que les voisins se doutent de quelque chose. Les capteurs de chaleur détectent une présence au sous-sol, alors vous descendez en silence, tombant sur le mutant prêt à tout cramer. Les choses dérapent rapidement, entre les tirs et les flammes c'est un véritable feu d'artifice. Tu finis par le neutraliser tant bien que mal quand ta main parvient à entrer en contact avec la sienne. Et tu le gèles littéralement jusqu'à ce que la pupille de ses yeux virent au bleu. Autour de vous, un prodigieux carnage. Aucun corps enflammé mais des plaies mortelles causées par le feu. Quand tout à coup, tu entends du bruit à l'étage : d'autres ennuis arrivent. Tu n'as pas le temps de prévenir l'équipe d'exfiltration que tu te retrouves face à un autre mutant.

Dracula. Tu reconnais la voix de Darius bien avant de l'apercevoir avancer dans ta direction pour ne pas dire te plaquer violemment contre le mur. Un bref instant, un court contact. Trop court à ton goût.

« Oh vous n'êtes content de me revoir James ? » Le regard impétueux, plein de malice trahit amplement ton état d'esprit mais le plaisir est de courte durée. Sans prévenir un de tes collègues ouvre la porte de la cave et débarque au milieu du salon, à moitié défiguré. Il s'écroule entre vous, suppliant pour de l'aide. Tu t'approches de lui avec douceur avant de le refroidir de la tête aux pieds. Oups. « Vous aimez ma nouvelle mutation ? Je dois encore régler deux-trois paramètres. » Un peu d'humour pour dédramatiser la situation, en d'autres termes banaliser la mort de ce pauvre glaçon humain. Ce dernier te rappelle que ta capture t'attend en bas, sous tes pieds et tu poses alors un regard bien différent à l'encontre du vampire qui demeure face à toi. Un regard lourd de sens. « Vous devriez partir avant que les véritables problèmes ne débarquent. » Tu parles évidemment des autres agents de Trask qui vont finir par faire irruption. Même si tu l'as peut-être poussé du toit lors de votre dernière entrevue, tu ne tiens pas à ce que tes bourreaux mettent la main sur Darius.

Si Amalia était surprise de le rencontrer ici, elle n’en montra rien ; choisissant plutôt de le questionner sur son humeur, un demi-sourire sur les lèvres. Provocante et fière, comme si elle savait ce qu’elle faisait depuis le départ. Comme si elle voyait tout cela comme un jeu et qu’elle n’était là que pour s’amuser, aux dépens de ceux qu’elle entraînait avec elle. Le masque d’innocence qui avait piégé Darius était tombé cette fois, et il la voyait enfin pour ce qu’elle était : une psychopathe qui visiblement n’avait aucune hésitation à achever l’homme en détresse qui venait de débarquer dans le salon. Elle sembla même y prendre plaisir, blaguant sur sa nouvelle capacité tandis que Darius était préoccupé par la signification derrière tout cela.

Oh, la mort de cet homme était probablement une faveur considérant l’état dans lequel il s’était retrouvé face au pyromane. Par contre, Amalia avait encore une fois évité sa question — il se rendait compte que c’était tout ce qu’elle faisait depuis leur première rencontre —, ce qui le laissait croire qu’elle était loin d’être ici par hasard. Elle savait pour le jeune mutant et avait même réussi à devancer les membres de l’Institut. Elle avait des ressources et cela confirmait qu’elle était bien plus que ce qu’elle laissait paraître.

“Je vous le demande une dernière fois — que faites-vous ici ?”

Comme il s’y attendait, elle ignora encore la question. Elle plongea son regard droit dans le sien et un air grave assombrit son visage tandis qu’elle lui lança un avertissement. Ce fut au tour du vampire de relâcher son sérieux pour une fraction de seconde. Voilà une blague qui le faisait réellement rire.

“Vous avez l’air de savoir de quoi vous parlez. Mais vous êtes naïve si vous croyez vraiment que je partirai sans le gamin.”

Autant mourait-il d’envie de régler ses comptes avec elle, autant la priorité numéro un de Darius restait de secourir l’adolescent qui se trouvait au sous-sol. Il avait assez négligé ses responsabilités la première fois ; il ne referait pas cette erreur. Il se déplaça en direction du sous-sol, enjambant au passage le cadavre gelé sur le plancher. Cependant, la mutante se trouvait encore entre lui et la porte, lui bloquant l’accès à la cave. La lèvre du vampire se retroussa.

“Vous ne voulez pas être dans mon chemin, Amalia.”

Il avait été extrêmement gentil jusqu’à présent, mais il n’était pas question qu’il échoue sa mission à cause de cette rencontre imprévisible. S’il devait faire usage de force, so be it.  

Exit les bonnes manières du gentleman. Tu es maintenant face à une toute autre version du comte Dracula mais ce n'est pas pour te déplaire. Y'a quelque chose de bien plus vivant chez lui depuis que la colère defigure ses traits. Et tu ne comptes pas la tempérer, bien au contraire. « Ah oui ? Et vous allez faire quoi, me balancer de l'autre côté du mur ? Me tordre la nuque ? Oh non je sais ! Me vider de mon sang ? » Des provocations, toutes plus alléchantes les plus que les autres dans l'unique but de gagner du temps.

Pendant que tu déblatères sur les différentes façons dont il peut littéralement se débarrasser de toi, ta main effleure la serrure de la porte pour qu'une épaisse couche de glace se forme de l'autre coté de la paroi. Et ce, afin d'entraver véritablement le chemin du vampire prêt à t'achever. « Devenir le monstre que vous redoutez tant ? » Sur ces mots, tu finis par te décaler, laissant l'opportunité à Darius de découvrir ton œuvre quand il abaisse la poignée et effleure l'iceberg qui lui fait face. Oups. Sa seule option étant de fracasser la glace à mains nues, tu ne doutes pas qu'il parvienne à ses fins mais en combien de temps ?

« Je ne peux pas non plus partir sans lui, ma vie en dépend alors entre ma vie et votre syndrome du sauveur... » Tu fais mine de peser le poids des deux propositions tandis qu'il doit, lui, évaluer ses options à l'heure actuelle. « Disons que je remporte la manche. » Un peu que tu la remportes, hors de question de rentrer bredouille et de risquer ta peau pendant que ce cher Sinclair va aller s'acheter un autre costume trois pièces tout victorieux. Cependant, tu perds vite ton air narquois quand tu te mets à tousser de la glace. Ouais rien que ça. Tu sens ton corps se geler comme si tes organes se transforment en stalactites. Quelle plaie vraiment !

Tu aurais dû opter pour une mutation moins contraignante, le genre force tranquille. Adossée contre un mur pour reprendre ton souffle, tu entends les pneus d'une voiture crisser dans la rue, ce qui explique l'ombre passée sur le visage du vampire qui a certainement percu le bruit bien avant toi. Tu détectes les échos d'une lutte qui se joue dehors, sans nul doute des alliés de Dracula. N'empêche que ce n'est pa bon signe pour lui, cela signifie qu'un des agents de service en bas a contacté l'équipe l'exfiltration. L'alerte est donnée. « Alors qu'est-ce que ce sera Darius ? » Se battre ou se retirer du jeu ? Volontairement, tu prononces son prénom, celui que tu n'es pas supposée connaître.

Plus elle le provoquait, plus la tentation de céder à chacune de ses suggestions se faisait grande. Sous ses manières de gentleman se cachait un instinct féroce qui n’attendait que d’être libéré, et elle le savait. Elle le cherchait. Elle faillit le trouver.

Le sang vint noircir les yeux de Darius tandis que ses traits de vampire firent surface sur le reste de son visage. Lorsque les émotions étaient trop fortes, il peinait à contenir sa vraie nature.

“Devenir le monstre que vous redoutez tant ?” Les paroles résonnèrent dans son esprit et le mutant se ressaisit. Non, il ne voulait pas être ce monstre, mais si les choses continuaient d’aller dans cette direction, il se verrait bientôt à court d’options. Amalia marchait sur une ligne fine avec lui, mais cela semblait être ce qui la faisait vibrer.

“Je le deviendrai si vous ne me laissez pas le choix,” répliqua-t-il, toujours menaçant. Puis, son ton s’adoucit légèrement pour ajouter, “S’il vous plaît, ne me forcez pas à vous considérer comme mon ennemie.” Une supplication qui révélait à la fois le brin d’espoir auquel il s’accrochait encore au fond de lui, et son intention de ne pas faire preuve de pitié si elle refusait de coopérer.

Par chance, elle fit le bon choix.. ou du moins, il le crut jusqu’à ce qu’il ouvre la porte et se retrouve face à un mur de glace impénétrable. Il laissa échapper un juron. Pourquoi devait-elle jouer à ce jeu avec lui ? Leur temps était compté : il pouvait faiblement percevoir qu’il y avait de l’agitation à l’entrée du bâtiment. Il donna quelques coups de poing sur la glace, mais cela ne la fit que craquer en surface. Malgré sa force, Dracula ne pourrait détruire le mur aussi rapidement qu’il le fallait.

Sa colère réanimée, il se jeta sur la reine des neiges pour lui serrer la gorge violemment.  “Et si je vous dis que votre vie en dépend maintenant ?” Au diable la copie du gène X — il pouvait lui tordre la nuque avant même qu’elle ne le réalise. Avait-elle vraiment des idées suicidaires ?

Avant qu’elle ne puisse répondre, elle fit mine de s’étouffer. Il ne relâcha pas son étreinte, croyant à une ruse, jusqu’à ce que de longs morceaux de glace s’échappent de sa bouche et viennent tacher son costume. Il remarqua alors la lueur d’inquiétude dans les prunelles de la mutante, indiquant que cette partie-là ne faisait pas partie de son plan. Malgré toute sa rage et ses menaces, il ne se voyait pas éliminer son adversaire dans ce moment de vulnérabilité. Un autre choix qu’il regretterait peut-être plus tard.

Il lui laissa de l’espace tandis qu’elle reprenait son souffle. Dehors, l’agitation qu’il avait perçue plus tôt était en train d’escalader en bagarre depuis qu’une autre voiture était arrivée sur les lieux. Retrouvant son air espiègle, Amalia lui demanda quel sera son choix. Il la regarda de travers. Darius. Elle avait prononcé son vrai prénom comme si elle le connaissait depuis toujours, confirmant les doutes qui hantaient ses pensées suite à la fameuse nuit.

“Alors vous saviez,” dit-il simplement. Cette fois, c’était la déception plus que la colère qui teintait sa voix.

Darius reporta son attention sur les bruits de pas qui commençaient à monter à l’étage. Ce n’était plus le temps de se demander comment elle connaissait son identité ; elle avait raison, il devait faire un choix. Mais abandonner la lutte n’était toujours pas une option. Tout ce qu’il pouvait faire était d’espérer le meilleur et se préparer au pire.

Deux premiers agents les rejoignirent dans la pièce. Dracula les attendait de l’autre côté du mur, prêt à leur sauter à la gorge. Il tordit la nuque de l’un et s’abreuva au sang de l’autre. Prêt à tuer de sang froid, pas si différemment de la façon dont Amalia avait tué l’autre humain plus tôt, après tout. Il n’allait jamais l’admettre de vive voix, mais laisser le monstre en lui prendre le dessus était exaltant. Il lui suffisait d’avoir une cause assez importante pour le justifier.

“Êtes-vous vraiment de leur côté ?” dit-il en se tournant vers Amalia, une trace de sang coulant encore au coin de ses lèvres. Des renforts n’allaient pas tarder à arriver, et il préférait tout de même ne pas avoir à se soucier d’être congelé à mort en plus du reste.

Il se pencha pour examiner le badge de l'un des hommes qu'il venait de tuer, et il comprit soudainement ce qu'elle voulait dire par une question de vie ou de mort.

“Vous n'avez pas non plus le choix, n'est-ce pas ?”

Peut-être était-elle aussi une victime dans tout cela, finalement. Quel dommage que les choses dussent en être ainsi.

Aurait-il vraiment le cran de te tuer ? Quand Dariis entrelace ses doigts autour de ton cou, tu sens toute la rage qui circule dans les tissus de sa peau mais derrière l'ardeur du monstre qu'il abrite, demeure cette parcelle d'humanité qui subsiste. Et c'est bien cette dernière qui te sauve la vie lorsque tes mots viennent faire écho en lui. Tu appuies là ou ça fait mal tandis qu'il relâche sa poigne. Une vraie valse musicale. Trop occupée à t'étouffer pour copier son gène, tu regrettes amèrement de ne pas l'avoir fait. Et quand tu retrouves ton souffle, c'est de la déception que tu aperçois au fond du regard du vampire qui prendre conscience d'une partie du stratagème, de n'être qu'un pion supplémentaire sur l'échiquier.

Ce n'est pas tout à fait faux, pas tout à fait vrai. Disons qu'il représente pour toi une opportunité alléchante. Néanmoins tu constates que malgré ta révélation plutôt brutale, il ne s'en prend pas à toi comme il s'en prend aux autres. A croire que la connexion établie cette nuit-là entre vous continue d'exister. « Je suis de mon propre côté. » Aucune illusion au rendez-vous, simplement la vérité sans artifice. Tu ne te bats ni pour ni contre Trask, tu te contentes de faire des choix alimentés par ta propre raison. En tout cas, le peu qu'il t'en reste après une décennie de captivité. « Ne vous méprenez pas, je ne suis guère une demoiselle en détresse. » Tu aurais pu prétendre le contraire, trifouiller et manipuler l'empathie qu'il semble avoir à ton égard mais ta propre fierté t'en empêche. Admettre que tu as la même valeur que les autres prisonniers ? Très peu pour toi.

« J'ai trouvé un moyen de sortir de ma prison, j'en trouverai un pour m'en évader définitivement. » Dès que tu auras établi un plan B, qui comprend de désactiver et d'extraire ta puce sans te tuer mais également de dénicher un autre buffet à volonté. Parce que c'est ce qui t'incite à coopérer autant, la possibilité d'aller et venir dans les laboratoires de la compagnie afin de t'alimenter. Tu n'imagines plus ta vie sans cette énergie. « Vous travaillez à l'institut c'est ça ? » Simple curiosité ? Pas vraiment. Dracula pourrait être une alternative à l'un de tes problèmes mais encore faut-il qu'il demeure hors du radar de Trask. Et tu entends justement des bruits de pas arriver dans votre direction, d'autres agents de service probablement. « Ils ne savent pas pour vous alors vous devriez partir avant qu'ils ne deviennent plus nombreux. »

Malgré tout ce qu’elle avait fait, malgré les mensonges, les trahisons et les provocations, Darius refusait de se détacher complètement. La brutalité dont il faisait preuve n’était qu’un lamentable moyen de repêcher le côté sensible d’Amalia, comme le masque qu’elle avait porté pour la majeure partie de l’autre soirée. S’il la secouait assez, peut-être pourrait-il trouver en elle la même parcelle d’humanité qui lui permettait de ne pas être qu’un psychopathe ? Peut-être que ses efforts étaient en vain, peut-être qu’elle se fichait royalement de lui — mais au fond il ne pouvait se résoudre à lui ôter la vie comme il venait de le faire avec les deux agents. La découverte de l’organisation pour laquelle Amalia travaillait lui redonna espoir, en quelque sorte, mais elle gardait la tête haute, loin de se morfondre en excuses pour obtenir de la pitié. Il pouvait au moins respecter son aveu de vouloir s’en échapper.

“Cela ne vous regarde pas,” répondit-il froidement au sujet de l'Institut.

À son tour d’éviter la question. Il n’allait pas la tuer, mais il n’allait pas se mettre à lui faire confiance non plus, elle l’avait déjà brûlé trop de fois. Les bruits de pas résonnant à nouveau dans les escaliers interrompirent ce fil de discussion. Tant de choses à éclaircir, mais si peu de temps. Elle insista pour qu’il s’en aille avant que trop d’agents n’envahissent la pièce, prouvant qu'une partie d'elle se souciait un minimum de son sort.

“Vous n’êtes peut-être pas une demoiselle en détresse, mais il y a un gamin derrière ce mur de glace qui a besoin de notre aide.”

Notre aide. À tous les deux. Si les soldats étaient trop nombreux, Darius ne pourrait pas tous les neutraliser avant de se prendre des balles le long du corps, et suite à l’incident avec Matthiew, il savait que ce n’était pas une option.

Son ouïe détecta soudainement un bruit venant de l’étage en-dessous. Comme si le mutant emprisonné dans la cave tentait de briser la vitre pour s’échapper. S’il réussissait sans que les mutants de l’Institut ne l’attrapent en premier, il tomberait probablement dans les mains de Trask Industries, scellant son avenir dans une cellule et des laboratoires. Il fallait être naïf pour croire que la fameuse compagnie de scientifiques avait réellement cessé ses activités secrètes depuis l’exposition de 2018. Darius en tenait la preuve vivante devant lui.

“Il a à peine quinze ans. Si je le laisse tomber entre vos mains, il passera le reste de sa vie à servir de cobaye, juste comme…”

Il ne prononça pas le reste de la phrase, mais ils savaient tous les deux ce qu’il sous-entendait. Il passera le reste de sa vie à servir de cobaye comme vous. Mais comme lui aussi. Il savait à quel point ce n’était pas une expérience désirable, ce qui le rendait d’autant plus déterminé à empêcher cette situation.

“Amalia, je vous en supplie. Si je ne peux vous aider, laissez-moi au moins l’aider lui.”

Si seulement elle pouvait retirer ce mur de glace qu’elle avait créé. Ou en créer un nouveau devant l’entrée du salon pour bloquer les agents de service. Si elle tenait vraiment à ce que sa présence ne soit pas détectée, il espérait qu’elle l’aide au moins à gagner du temps.

Il ne nie pas et cela te donne un indice viable à défaut d'une information fiable. Certainement Darius tente-t-il de protéger les autres mutants des gens comme toi, malintentionnés. Tu ne peux pas lui en tenir rigueur mais cela veut dire que tu vas devoir ramer encore un peu afin de découvrir la vérité. Ce n'est pas pour te déplaire, les défis ont le don de te stimuler, simplement l'urgence de la situation ne te permet pas de mettre à profit cet attrait. Parce que tes collègues arrivent et ils n'ont pas l'intention de négocier. « Vous ne lâchez pas facilement l'affaire hein ? » Ne reste plus qu'à savoir lequel d'entre vous va céder le premier. A ce jeu-là, tu es plutôt bien rodée mais il est dans ton intérêt personnel de t'attirer les bonnes faveurs du conte Dracula. Pour l'instant en tout cas.

« Je vais vous donner un coup de main mais ce ne sera pas gratuit. » Rien ne l'est avec toi. Tu finis par t'éloigner du mur avant de t'avancer vers la porte d'entrée qui se retrouve littéralement enveloppée par une épaisse couche de glace. Un cadeau empoisonné car cette nouvelle utilisation de ta récente mutation te fait maintenant claquer des dents et tu te demandes combien de temps tu peux tenir ainsi. Cependant, tu ne t'attardes pas sur ce détail et attrapes rapidement de quoi écrire. Tes lèvres aussi bleues que tes prunelles, tu te retournes vers Darius et lui tends le morceau de papier dans ta main glacée. « J'ai besoin que vous trouviez la façon de désactiver ce système de puce. » Aucune explication, aucune précision. A ce stade, ni l'une ni l'autre ne sont nécessaires.

Et puis ce n'est pas comme si vous aviez un mutant à attraper avant qu'il ne s'échappe. « Prêt à vous brûler les doigts ? » Il va falloir que tu trouves une excuse plausible à ton échec même si tu sais d'ores et déjà que Trask ne cautionnera pas ton retour les mains vides. Un problème à la fois, là tout de suite tu dois te concentrer sur la mission : à savoir, ne pas te faire cramer par ce cher Josh quand tu lèveras le mur de glace qui te vous protège de lui. « C'est parti. » Tu poses une main sur l'iceberg érigé quelques minutes plus tôt afin de fragiliser sa structure. Ainsi, il ne restera plus qu'à Darius de frapper un grand coup pour qu'il s'effondre. « A votre tour. » Dire que tu regrettes d'ores et déjà ta décision serait un euphémisme mais aux grands maux les grands moyens et surtout les alliés de taille.

Les précieuses secondes s’envolaient tandis que chacun évaluait l’autre, plongé dans un jeu mental de quitte ou double en attendant de voir qui serait le premier à quitter. Darius se tenait sur le qui-vive, les oreilles à l’écoute des agents qui se préparaient à entrer, mais les yeux rivés sur Amalia pour surveiller le moindre de ses mouvements. Même si elle ne semblait pas vouloir l’attaquer, il avait rapidement compris qu’il ne pouvait baisser sa garde avec elle au risque de finir à nouveau projeté au bas de l’immeuble — probablement en tant que glaçon cette fois. Un sourire en coin se dessina sur ses lèvres face au soupir d’Amalia. Effectivement, il ne lâcherait pas son bout du morceau. “Êtes-vous surprise ?” demanda-t-il, l’air mesquin. La source d’information qu’elle avait consultée à son sujet avait-elle oublié de mentionner sa tête de mule ?

Il leva un sourcil lorsqu’elle céda enfin, à une condition. Darius lui offrit un simple hochement de tête en guise de réponse. Peu importe ce qu’elle lui demanderait, il s’en soucierait plus tard : le danger imminent prévalait. Il profita du moment où elle lui tourna le dos pour envoyer un texto rapide à ses collègues de l’Institut, leur signalant de se préparer à ramasser le gamin par la petite fenêtre de la cave. S’ils étaient encore sur les lieux après ce qui avait semblé être une bataille à l’extérieur.

Lorsqu’il releva la tête, la porte d’entrée était enrobée de glace aussi épaisse que la première barricade et Amalia était en train de gribouiller une note qu’elle lui tendit rapidement. Darius fronça les sourcils devant cette note dont il ne pouvait décrypter le sens exact, mais les mots de la mutante lui en révélèrent le contexte et il comprit que d’une façon ou d’une autre, ce bout de papier représentait un pas de plus vers sa liberté. “Je ferai ce que je peux, vous avez ma parole,” affirma-t-il, une lueur de reconnaissance au fond des yeux. Il savait très bien qu’elle l’aidait à contrecœur considérant les enjeux liés à sa situation. Cet acte de coopération en disait gros sur la connexion qui les reliait toujours, aussi friable fût-elle. C'est pour cela qu'il s'assurerait de tenir sa promesse si elle choisissait bel et bien de ne plus lui mettre des bâtons dans les roues.

Il attendit qu’elle fragilise l’iceberg avant d’y plonger son poing avec toute la force dont il était capable. La glace éclata en morceaux, libérant le chemin menant vers le sous-sol. Il traversa le cadre de porte avant de s’arrêter brusquement et se retourner vers celle qui au final s'était avérée être ni une alliée, ni une adversaire.  

“Si les circonstances étaient différentes, on formerait une équipe d’enfer, ne trouvez-vous pas ?” demanda-t-il, un faible sourire sur le visage pour masquer l’once de tristesse qu’il ressentait face à toute cette histoire. Il avait le sentiment que même s’il lui demandait de l’accompagner dans sa fuite, elle ne pourrait accepter. Le seul moyen qu’il avait de l’aider se trouvait sur ce morceau de papier bien logé dans sa poche. Cela ne valait donc plus la peine de s’attarder ; il avait un autre mutant à sauver, et plus vite il sortirait d’ici, plus vite il pourrait tenter de déchiffrer le code qu’elle lui avait laissé. “La prochaine fois que James Couture organisera un événement caritatif, arrangez-vous pour y être,” lâcha-t-il enfin avant de disparaître de son champ de vision.

Une partie de lui était certain de la revoir bientôt, mais l’autre partie pria pour qu’elle se sorte de cette situation sans trop de misère malgré ses mains vides. Que ses supérieurs chez Trask ne choisissent pas de la punir en prenant sa vie comme elle le mentionnait, ou pire encore. Ils avaient chacun fait leur choix aujourd’hui — mais à quel prix ?

Tu ne sais pas vraiment ce qui te décide à te ranger de son côté. Ce n'est ni le premier ni le dernier mutant qui te promet de t'aider mais au milieu de toutes ces rencontres, il te faut bien t'accrocher de temps en temps à une des promesses. Celle de Darius en l'occurence. Et puis, d'une certaine façon vous partagez bien plus que tu ne peux le concevoir à cet instant précis, il est parvenu à se libérer de sa prison, représentant en quelque sorte un espoir. Ton indicible espoir. « Peut-être bien dans la prochaine vie. » Si seulement. A vrai dire, tu ignores comment le considérer.

À la fois allié et complice, vos principes n'en demeurent pas moins profondément différents. Contrairement à lui, tu ne te soucies guère du sort des autres mutants qu'il considère comme des innocents à sauver. Parce que ça fait bien longtemps que tu as abandonné l'idée que quelqu'un vienne te sauver. Ou était-il quand tu en avais besoin ? C'est uniquement car tu vois un intérêt à cette alliance fragile que tu décides de lui filer un coup de main. Tôt ou tard Trask décidera de se débarrasser de ta carcasse et tu veux être en mesure de t'enfuir avant que ce moment fatidique n'arrive. « Radicale. » D'un simple coup de poing, Dracula brise la glace qui le sépare de la cave et s'engouffre à l'intérieur mais au dernier moment il se retourne vers toi.

Tu ne peux t'empêcher de sourire quand il te propose un autre rencard. « Arrangez-vous pour faire passer ça comme une soirée pro-mutante et j'y serai. » Si tu es encore en vie d'ici là car ton rictus s'évanouit bien vite après son départ. Tu te retrouves maintenant face aux conséquences de tes actes et il te faut prendre les décisions nécessaires, à savoir aucun témoin. Dans cette optique, tu décides de te débarrasser toi-même des agents de service qui tambourinent encore à la porte. Bien sûr tu mettras leur mort sur le compte des opposants pour protéger tes arrières. Finalement tu poses ta main sur l'iceberg encore en place afin de fragiliser sa structure avant d'attraper une chaise pour fracasser le bloc. C'est parti.