dusk till dawn

Quelle perte de temps monumentale. Une heure à te pavaner dans cette robe inconfortable, à hocher la tête au moindre compliment, à montrer un intérêt factice en dépit de ton ennui réel, et tout ça pourquoi ? Pour rien. A croire qu’aucun mutant ne vient plaider la cause des mutants. Ironique non ? Et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir cherché un de tes pairs au milieu de cette foule éperdument humaine. En vain. Tu avales la dernière gorgée de ton verre, décidée à partir dans les plus brefs délais quand tu le vois. Le miracle à l’autre bout de la pièce.

Au début tu ne le reconnais pas de suite mais l’allure élégante qu’il dégage fait remonter à la surface tes souvenirs. Darius. Darius Sinclair. C’est lui, tu n’en doutes pas. Bien plus charmant que sur les photos du dossier. Autant dire Amalia, que tu n’as plus l’intention de filer. Et avec un naturel déconcertant, tu t’avances dans sa direction. « Oh chéri tu es enfin là ! » Approche directe mais tu n’as clairement pas envie de perdre plus de temps avec ces futilités pathétiques d'un autre monde. Tu es venue pour le buffet à volonté et il vient d'arriver. « Allons-nous chercher à boire, veux-tu ? » A vrai dire, ce n’est pas vraiment une question car tu l’entraînes sans plus attendre vers le bar, abandonnant ton partenaire figuratif. Parce que tu as trouvé bien mieux. Tu as trouvé un gène X inédit.

La performance peut alors commencer. « Oh pardonnez-moi. » Tu te confonds en excuse avec cette moue délicate qui cache tes intentions pernicieuses. C'est que tu meurs d'envie de pouvoir établir un contact et télécharger cette nouvelle mutation mais tu ne peux, malheureusement pas, brûler les étapes. « J’étais à court d’argument pour lui échapper. » Ouais, à court de patience surtout mais l'arrivée inopinée de Dracula change considérablement la donne. Le barman finit par venir prendre vos commandes alors que de nouveaux invités débarquent. Très certainement des humains inutiles et bien pâles en comparaison de ton charmant compagnon. Difficile d'imaginer qu'il approche des 80 ans avec cette allure impeccable. Trop impeccable même. Qu'est-ce qu'elle cache ?

“Monsieur James Couture, bienvenue,” dit le majordome à l’entrée de la salle d’hôtel où Darius était attendu. Ce dernier, portant sa deuxième identité pour l’occasion, hocha poliment la tête avant de se diriger d’un pas assuré vers le centre des festivités. Cette soirée, organisée par des pro-mutants de classe distinguée, était importante pour le vampire : elle servait à renforcer le sentiment qu’une paix entre humains et mutants était atteignable, même parmi ce lot de riches prétentieux dont lui-même faisait partie. Ironiquement, Monsieur Couture n’était pas connu de ces gens comme étant un mutant ; pour la sécurité de l’Institut, Darius tenait à faire la distinction nette entre son quotidien et ces occasionnelles sorties mondaines. Cela ne l’empêchait pas de faire de son mieux pour répartir ses valeurs autour de lui.

Aujourd’hui, il n’était pas arrivé les mains vides. Il transportait avec lui une petite valise noire, de laquelle il s’empressa de sortir un violon. Il avait accepté de performer pour les invités plus tard dans la soirée, mais il aimait s’assurer à l’avance que tout était bien en place. Toutefois, à peine eut-il le temps de s’installer qu’une jeune femme apparut devant lui en l’appelant “chéri”. Il leva les yeux, bouche bée. Ce doux visage, bien que magnifique, ne lui rappelait strictement rien. Malgré tout, l’inconnue aux cheveux blonds continua de lui sourire en lui proposant d’aller chercher un verre.

“Si vous insistez,” accepta-t-il, à la fois amusé et intrigué. Il rangea son violon aussi rapidement qu’il l’avait sorti et suivit la demoiselle vers le bar.

C’est là qu’elle poussa un soupir de soulagement et lui pointa discrètement l’homme qu’elle tentait d’éviter. Ce simple geste suffisait comme explication, mais la jeune femme se sentit tout de même dans le besoin de se fondre en excuses.

“Ne vous en faites pas, je comprends tout à fait”, la rassura Darius. “Certaines personnes ici peuvent être très… acharnées. C’est le moins qu’on puisse dire.”

Lorsque le barman vint prendre les commandes, le mutant ordonna un scotch bien fort. C’était sa façon de faire taire la soif qui le tenaillait toujours un peu. Il en avala une gorgée rapidement, puis se tourna vers l’inconnue, prêt à lui accorder toute son attention.

“Je ne vous ai jamais vue dans les soirées précédentes,” lui sourit-il gentiment en lui tendant la main comme les hommes d’affaires en ont l’habitude.
“Je suis James. Et vous ?”

Même s’il n’était pas prêt à révéler son identité, James était son deuxième prénom à la naissance, et il le portait aussi bien que le premier.

Les bonnes manières de Darius t’arrachent un sourire carnassier. Proie prise dans tes filets, tu ne te fais pas prier pour lui serrer la main et grappiller à cette occasion quelques fragments d’énergie. Le contact est rapidement rompu alors tu n’as pas le temps de copier sa mutation, seulement de la sentir dans le bout de tes doigts. Comme de légers picotements. Juste de quoi attiser ton appétit vorace. « Je n'étais pas invitée. » Liste sélective, il est difficile d’obtenir une place et tu te demandes bien pourquoi... à croire que les gens ont du temps à perdre.

Heureusement pour toi, la soirée s'annonce beaucoup plus divertissante depuis que Darius est arrivé. Ce dernier se présente sous son deuxième prénom et tu te félicites d'avoir parcouru attentivement son dossier pour ne pas en être étonnée. « Enchantée, Amalia. » L'expérience te force à te rapprocher au maximum de la vérité et n'édulcorer que certains détails. Comme ton affiliation forcée à Trask Industries. C'est sur ordre de ton superviseur que tu te retrouves ici, à faire du repérage. Cependant, tu n'as pas l'intention de lui révéler que tu as mis la main sur un gros poisson. Oh non, tu veux garder le mutant pour toi. Et quand tu estimeras ne plus en avoir besoin, tu mentionneras peut-être son existence.

A moins que l'entreprise ne l'apprenne avant. Tu finis par t'arrêter quelques secondes sur le violon qui l'accompagne. « Êtes-vous musicien James ? » C'est une véritable question car cette information n'est pas - de mémoire - renseignée sur les documents. Et tu te demandes ce que Dracula peut bien faire de sa vie vampirique. Hormis se nourrir de sang pour ne pas devenir un monstre assoiffé. Est-ce que tu seras capable d'en faire autant une fois son gène téléchargé ? Tu n'en as aucune idée et c'est pour toi, sans importance. Ca fait bien longtemps que tu considères les innocents comme des dommages collatéraux inévitables. Depuis que tu es en devenue un par la force des choses.

Amalia. Un nom qui lui allait à merveille et dont Darius se serait définitivement souvenu s’il l’avait déjà entendu quelque part. Une complète étrangère, donc. Voilà quelque chose de rafraîchissant pour cet homme qui avait tant de contacts. Qui était-elle ? D’où venait-elle ? C’est vrai que ce groupe sélect d'individus n’ouvrait pas ses portes à n’importe qui. Une raison de plus pour être intrigué.

“En quelque sorte,”  répondit-il lorsque Amalia lui demanda s’il était musicien. “Ce n’est qu’un passe-temps, mais… on m’a dit que j’ai une certaine oreille pour la musique.” Il ne put s’empêcher de lui offrir son charmant sourire tandis qu’il lui vantait son talent. Il lui avoua que le violon était le premier instrument qu’il avait appris à jouer dans son enfance. Malheureusement, il n’avait plus beaucoup de temps à y consacrer, occupé qu’il était. Le spectacle de ce soir était une façon d’y remédier.

“D’ailleurs, c’est bientôt mon tour. Si vous voulez bien m’excuser.”

Il se leva de son siège et se dirigea vers la petite scène prévue à cet effet. Même si le mutant avait l’air de garder ses distances, secrètement, il espérait qu’Amalia reste pour sa performance — ou du moins qu’elle soit encore là lorsqu’il aurait terminé. Ils venaient à peine de se rencontrer, mais quelque chose lui disait qu’ils n’avaient pas fini d’interagir.

Lorsqu’il mit les pieds sur scène, l’attention de la salle entière fut dirigée vers lui. Tout le monde avait hâte d’entendre jouer le fameux James, sur qui on voulait toujours en savoir un peu plus. Il commença par un discours adressé au public, mais en réalité, il n’avait d’yeux que pour sa nouvelle rencontre.

“Cette pièce est dédiée à ma famille qui, malgré la douleur et la peine causée par un porteur de gène X, a toujours supporté les mutants. Et à tous ceux d’entre vous qui, comme moi, croient désespérément en un avenir où nous saurons mettre nos différences de côté.”

Darius avait beau se présenter sous une fausse identité ; ce qui le rendait si crédible est qu’il ne mentait pas à proprement parler. Toujours droit, propre, poli, confiant — il ne laissait jamais paraître la souffrance qui le tourmentait à l’intérieur, mais chacune de ses paroles cachait un fond de vérité.

La fin de sa performance musicale fut accueillie d’une salve d’applaudissements. Le morceau avait duré moins de cinq minutes, mais il avait visiblement touché son audience. Darius leur fit son salut, puis s’empressa de retrouver Amalia.

“J’espère que cet interlude ne vous a pas trop ennuyée," lui dit-il. De son côté, Darius était plutôt ravi de ne pas avoir perdu la main sur son instrument.

“Mais assez parlé de moi, j’ai l’impression d’avoir volé toute l’attention depuis notre rencontre”, avoua-t-il ensuite. Même s'il n'avait que joué d'un instrument, il avait cette bizarre sensation d'avoir étalé son état d'âme devant une foule de gens qu'il ne connaissait qu'en surface. Il se sentait étrangement exposé.

“Qu’est-ce qui vous a mérité une invitation à cette soirée ?”

La performance donnée par Darius te fait presque oublier les raisons de ta venue. Et pendant un bref instant, tu te contentes de l’écouter sans te laisser engloutir par le brouhaha de tes pensées chaotiques. A croire que les doigts du musicien te frôlent chaque fois qu’ils viennent en réalité effleurer les cordes du violon. C’est une sensation plutôt agréable. Tu regrettes simplement que le morceau s’arrête. « Au contraire, vous avez su retenir mon attention. » Et celle de tout le public.

De toute évidence, les gens préfèrent une balade musicale à un discours pompeux comme il va très certainement en avoir au cours de la soirée. Pourvu que tu n’aies pas à les supporter. « Vous êtes très talentueux James. » Et très charmant mais tu n’en dis rien et te contentes de lui décrocher un sourire quand il t'interroge. « Je ne sais pas, certainement mon humour raffiné ou mon charme renversant » Que tu lui confies sur un ton amusé avant de te pencher vers lui pour murmurer au creux de son oreille. « Ou encore ma capacité à supporter les mains baladeuses. » Tu te montres particulièrement charmante toi-même dans un seul but, le garder près de toi. Cependant, tu décides de prendre un air un peu plus sérieux pour répondre réellement à sa question.

« Mon patron. » Il te faut retenir le soupir qui menace de faucher tes lèvres quand tu révèles la vérité. En tout cas une partie d’entre elle. « Mon patron m’envoie faire du repérage, prendre la température pour savoir si le vent tourne. » Etonnamment, ton explication est plutôt honnête dans la mesure où tu ne révèles pas grand chose. « Mais mon boulot est barbant, ne me forcez pas à en parler pitié. » C’est surtout que tu vas devoir commencer à lui mentir s’il souhaite creuser cette piste car tu ne peux tout simplement pas révéler la nature de tes fonctions. Tu es quasi certaine que ça plomberait l'ambiance. « Dîtes-moi plutôt, qui est ce mutant que vous avez mentionné ? » Etant donné l’âge réel de Darius, une petite voix dans ta tête te chuchote que tu te tiens en face.

Darius avait du mal à retenir son sourire. Non seulement elle savait le caresser dans le sens du poil, mais elle avait aussi de l’humour, cette Amalia. Il était rare de voir le vampire rire comme ça, si honnêtement, avec quelqu’un qu’il venait tout juste de rencontrer. Plusieurs femmes avaient essayé de l’approcher par le passé, mais la plupart du temps, il les rejetait promptement.

Le chuchotement qu’elle lui fit à l’oreille provoqua en lui une légère sensation de désir. Il avala sa salive, hésitant entre se laisser porter par le charme d’Amalia, ou fermer la porte comme il en avait l’habitude. N’était-ce pas étrange ? Il était vieux, beaucoup plus vieux que ce que son physique laissait paraître. Il ne devait pas se laisser tenter par une jeune femme dont il avait presque trois fois l’âge, ce n’était pas… correct. Et puis, il se souvenait encore trop bien de sa relation avec Lia et de la façon dont celle-ci s’était terminée.

Heureusement, son interlocutrice reprit un air plus sérieux, mettant fin à son dilemme pour un bref instant. Du repérage pour son patron, qu’elle disait. Était-elle journaliste ? Enquêteuse ? Chasseuse de têtes… ? Avant que Darius ne puisse l’inquisitionner davantage, elle dévia le sujet vers lui à nouveau, demandant qui était le mutant qu’il avait mentionné plus tôt.

Bien qu’il lui fit un autre sourire, on pouvait lire une note de tristesse dans ses yeux cette fois. Il prit une autre gorgée de scotch avant de répondre :

“Un monstre qui n’avait pas sa place parmi eux.”

Il avait arrêté de soutenir le regard curieux d’Amalia, préférant fixer la main qui remuait son verre au-dessus du comptoir.

“Ils ont continué d’y croire, jusqu’à ce que la souffrance devienne trop. Ils ont fait ce qu’ils avaient à faire pour trouver la paix, mais au fond… ils n’ont jamais abandonné l’idée que les mutants méritent le respect.”

Il se perdit dans un silence pensif pendant quelques secondes, se demandant pourquoi il s'étendait autant sur cette tragédie.

“Pardon, ce n’est pas très joyeux comme sujet,” s’excusa-t-il enfin. “Mais chacun d’entre nous ici, humain ou mutant, a une raison de se battre pour que les mutants aient une place dans notre société. Quelle est la vôtre, Amalia ?”

Par chance, les bonnes manières de Darius l'incitent à ne pas relever ta remarque. Et tu apprécies la retenue dont il fait preuve à ton égard, cela te change de tes partenaires de travail. Leur brutalité te force à te montrer, bien souvent, particulièrement rude à ton tour. « C'est tout à leur honneur. » Compatir n'est pas vraiment dans tes habitudes mais le mutant a l'art et la manière de venir te chercher. Et quelque part, derrière les mots qu'il emploie, tu devines les maux qu'il ne nomme pas. Ceux que vous partagez en silence.

« Ne vous excusez pas, votre honnêteté est rafraîchissante. » Contrairement à la tienne, même si pour l'instant tu te montres plutôt sincère avec lui. Fait étonnant. D'habitude, tu te mets à mentir dès les dix premières secondes de la conversation mais ta proie actuelle te met face à une situation plutôt inédite. Où tu n'es pas forcément obligée d'incarner le rôle de quelqu'un d'autre. Tu peux être toi, dans une certaine mesure évidemment. « Je ne sais pas vraiment comment répondre à votre question. » Autrement qu'en lui avouant que la cause des mutants ne te fait ni chaud ni froid. Parce que tu ne te considères pas de la même espèce qu'eux. Comme Darius qui vit depuis si longtemps, tu te sens différente du reste du monde car tu as connu trop de gènes X pour être réduite à un seul.

Tu avales une gorgée de ton verre, apaisant la soif qui te tiraille sans calmer la faim qui te tenaille. Difficile de taire cette petite voix dans ta tête qui crie famine quand tu te trouves si proche de ton prochain repas. Il te faut simplement accélérer la cadence de votre valse. « Je peux vous montrer, si vous me trouvez un mutant dans la salle. » Tu lances ce défi en espérant, sincèrement, qu'il accepte et décide de se révéler à toi mais le doute est permis. En effet Dracula semble plutôt méfiant et sur la réserve avec les étrangers alors ta technique ne fonctionnera peut-être pas. Cependant, tu te dois de tenter le coup. « Je vous promets que vous ne serez pas déçu. » A nouveau tu te penches vers lui pour chuchoter tout bas, créer une complicité entre vous et le motiver un peu.

Il ne fallut pas beaucoup de temps avant que l’esprit vif d’Amalia et son regard charmeur surgissent à nouveau, doublement efficaces cette fois. Elle ne savait comment répondre à sa question, mais lui proposait une alternative : celle de trouver un mutant dans la salle. Darius la fixa longuement du regard, un demi-sourire sur les lèvres, suspicieux mais extrêmement curieux de connaître ce qu’elle avait en réserve. Comme si elle savait qu’il était sur le point de relever le défi, la jeune femme lui donna la petite poussée dans le dos qu’il avait besoin pour se décider, promettant qu’il ne le regretterait pas.

“Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression que vous refuser serait une erreur,” lui dit-il en jetant un coup d'œil autour de la pièce.

Toutefois, il faisait face à un petit souci : il connaissait presque tous les autres invités, et à sa connaissance, aucun d’entre eux n’était un mutant. Ce n’était pas non plus comme s’il avait un radar pour détecter le gène X, et il n’allait pas se mettre à pointer quelqu’un au hasard. Ce serait à la fois déplacé et trop gênant.

“Et si nous allions marcher dehors ?” proposa-t-il soudainement. “Peut-être que je pourrais vous montrer un mutant digne de vôtre intérêt, si nous n’étions pas enfermés dans cette salle plutôt… humaine.”

À son tour de jouer le mystérieux aguicheur. Il pouvait deviner, par les yeux illuminés de son interlocutrice, qu’elle non plus ne lui refuserait pas.

Il lui tendit la main, tel un gentleman, pour l’aider à se lever de sa chaise. Puis, il la guida à l’extérieur pour l’emmener dans la petite cour qui se trouvait derrière l’hôtel. L’heure était assez avancée dans la soirée pour qu’ils se retrouvent tous les deux dans l’intimité. Darius se tourna vers sa compagne pour la regarder droit dans les yeux et apprécier la beauté de son visage. Malgré toutes les circonstances, l'attirance qu'il ressentait envers elle était indéniable.

“Amalia… je ne peux ignorer la connexion qui se forme entre nous,” commença-t-il par avouer. Tous les signaux envoyés au cours de la soirée étaient trop évidents ; il ne pouvait pas se tromper. “Toutefois, il faut que vous sachiez…”

Il prit une grande inspiration, évaluant une dernière fois le doute qui ne pouvait s’empêcher d’être là. Quels risques courrait-il s’il se permettait, rien que pour cette fois, d’être honnête envers une inconnue ? Quelles étaient les chances qu’un simple aveu se retourne contre lui ? Il était si précautionneux tous les jours, tout le temps. Ce serait bête de gâcher ses efforts, et pourtant… il avait tant envie de dire tant pis, juste pour aujourd’hui.

Il se pencha pour ramasser une branche d’arbre qui traînait à leurs pieds. Puis, sans donner d’avertissement, il l’enfonça brusquement dans la paume de sa main, avant de la retirer aussi rapidement. Devant leurs yeux, la blessure de Dracula se referma sans laisser la moindre cicatrice.

“Le monstre dont je parlais tout à l’heure. Il se trouve devant vous.”

Son coeur battait si fort que nul n'avait besoin d'une ouïe surnaturelle pour l'entendre jouer du tambour.

Tu peux sentir le doute s'infiltrer sous la peau du mutant alors qu'il pèse prudemment le pour et le contre de ta requête. Et tu attendes un signe, un geste de sa part, qu'il te délivre de la frustration dont tu es victime, tes entrailles ruminant en silence. « Refuser ? Quel est ce mot étrange. » Ton regard vient chercher le sien, le défier de tout l'éclat de tes prunelles félines. Vile tentation sur laquelle tu t'appuies pour lui forcer la main alors que les battements de ton coeur résonnent dans ta cage thoracique. Comme une bombe à retardement. Tic tac.

Jusqu'à la détonation ultime. « Je vous suis. » Tu déploies d'innombrables efforts pour contenir l'excitation qui parcourt ton corps à cet instant précis. Il faut dire que tu n'as pas eu l'opportunité de mettre la main sur un butin pareil depuis bien longtemps. « Et maintenant c'est vous qui piquez à ma curiosité à vif ! » Bien que tu détiennes de nombreuses informations sur la mutation dont il est le porteur, chaque nouvelle copie demeure une expérience inédite. Et tu te languis de pouvoir expérimenter celle-ci en compagnie de Dracula, d'incarner à ton tour une version revisitée du terrible comte vampirique. Pour le meilleur et surtout pour le pire, il te mène dans la cour arrière de l'hôtel. A l'abri des regards indiscrets.

« Oh James. » Tu manques presque de le nommer Darius mais ta langue rectifie le tir au dernier moment. C'est que tu en perds presque le fil de tes pensées, émerveillée par ce que tu viens de voir. Et instinctivement, tu attrapes la main mutilée pour en effleurer la paume de tes doigts. « Si vous saviez. » Le monstre que tu caches sous ces traits angéliques et fins qui profanent l'innocent et l'orphelin. Tu ne lui permets pas de le découvrir et sans vraiment prévenir, tu l'attires vers toi pour dérober ses lèvres. Et ce, dans le but d'établir un contact te permettant de télécharger son gène X en toute tranquillité. Ce n'est pas forcément ta méthode de prédilection mais il t'arrive d'avoir recours à cette dernière. Mélanger plaisir et affaire.

Volontairement, tu fais durer le baiser. Désireuse de grapiller le maximum d'énergie alors que tes mains viennent s'enrouler autour de sa nuque. C'est dommage que cette étreinte soit une simple transaction mais la réalité est une perpétuelle déception. Rassasiée, tu finis par te détacher de Darius pour lui montrer à ton tour, un aperçu de tes capacités. Reflet déformé des siennes. Et tu ramasses le morceau de branche afin de l'enfoncer dans la paume de ta main sans vraiment sourciller. L'habitude d'être écorchée, rat de laboratoire prisonnier. « Alors, déçu ? » Les cellules de ton épiderme se reforment sous la promesse tenue. « James il faut que vous me montriez tout ce qu'on peut faire. » Ensemble.

Confusion, peur, déception… les nombreux scénarios qu’il s’était imaginés suite à sa révélation tournaient autour de ces trois grands axes. En prévoyant le pire, il pouvait s’assurer de ne pas être déçu ni surpris, et prétendre que cette soirée n’était qu’un drôle de souvenir. Mais Amalia avait plus d’un tour dans son sac, et si Darius n’avait pas encore réalisé l’étendue de ses surprises, ce qui suivit allait définitivement lever le voile sur une partie de cette affaire. S’il savait, en effet…

Il ne fit rien pour résister lorsque leurs corps se touchèrent et que leurs lèvres s’entrelacèrent. Sa timidité se dissipa rapidement, le mutant étant impatient de renvoyer vers Amalia la passion qu’elle irradiait. Malgré son corps froid de vampire, il se sentait brûler de l’intérieur tandis qu’il sentait son essence se mélanger avec celle de sa compagne. L’espace d’un instant, il en oublia ses inquiétudes et ses défenses naturelles. Il souhaitait que ce moment magique puisse durer une éternité.

Ce fut elle qui se détacha en premier, menant la danse comme elle semblait en avoir pris l’habitude. Elle ramassa la même branche d’arbre que Darius avait laissée tomber et avant qu’il ne puisse réaliser son intention, elle s’empressa de refaire la démonstration sanglante. Sur sa propre main cette fois, imitant la capacité dont il avait fait preuve.

Sous le choc, il fit un pas vers l’arrière tandis que sa mâchoire se décrocha. Son regard fit des va-et-vient entre la main d’Amalia et son visage rempli de fierté et d’excitation. Il était à court de mots, de repères. Telle une sirène, elle venait de l’attirer dans ses filets pour l’emporter dans un océan inconnu. Aucun de ses scénarios imaginaires n’avait pu prédire ce résultat.

“Que venez-vous de faire…?” finit-il par demander, à cheval entre l’horreur et l’incrédulité.

La joie et la sérénité du moment précédent s’étaient envolées pour faire place à l'inquiétude. Venait-elle seulement d’absorber son aptitude régénérative ? Ou ressentait-elle la même soif qui le tourmentait ? La petite voix à l'intérieur de sa tête lui chuchotait : je te l'avais dit que c'était une erreur.

La réaction de James est plutôt évidente. Le doute l'ébranle, partagé entre l'émerveillement et l'horreur, certainement la première fois qu'un autre mutant partage la même malédiction que lui. De ton point de vue, c'est plutôt une bénédiction, un cadeau du ciel. Et tu comptes en profiter au maximum. « Pour quelques heures, nous allons partager votre mutation. » La vérité, des morceaux de vérité pour ne pas avoir à multiplier les mensonges au bord de tes lèvres.

Tu en as expérimenté des gènes X mais c'est l'un des rares qui comportent autant d'avantages. Tous tes sens sont augmentés, tu peux entendre le moindre crépitement, percevoir des détails dont tu n'as pas conscience d'ordinaire. « Que risquez-vous sinon de vouloir retenter l'expérience ? » Tu tentes de calmer les craintes qui doivent lui lacérer le palpitant mais pas certaine que tes mots viennent à bout de ses maux. De toute évidence, Darius considère qu'il est un monstre quand toi, tu vois une merveille. Si seulement il pouvait se regarder à travers tes prunelles. Peut-être parviendras-tu à le convaincre d'adopter un autre point de vue.

« James... » Tu approches délicatement ta main pour effleurer les traits dubitatives du vampire. « Vous semblez porter votre gène comme un fardeau, pour une fois vous n'avez pas à le faire seul. » Acceptera-t-il ? Tu l'ignores mais tu espères aller à l'encontre de tout ce qu'il connait, lui montrer que la peur n'est pas forcément la réaction la plus adaptée face à l'inconnu et l'étrangeté. Même si elle demeure souvent la plus naturelle. Les humains en sont la preuve vivante, adoptant souvent un comportement grotesque avec les mutants. L'inverse n'est pas à exclure. Mais il existe, entre les ressentiments et les craintes, une autre option à leur portée. Une autre option à votre portée.   

La réaction de James ne sembla pas contrarier Amalia qui, au contraire, gardait son calme et son sourire en tentant d’alléger la situation. Ce n’était que pour quelques heures, qu’elle le rassurait, confiante que son geste était vide de conséquences. Ses yeux illuminés de joie lui rappelaient ceux d’une enfant dans un magasin de bonbons — une enfant qui venait d’obtenir les friandises qu’elle convoitait, et qui ne savait par laquelle commencer.  Comment partager ce bonheur, lorsqu’il avait encore tant de questions ? Il comprenait à peine l’étendue des capacités d’Amalia. Elle parlait de risques comme s’ils étaient inexistants, alors que le mutant pouvait en nommer plusieurs… à commencer par les ravages que cette mutation pouvait entraîner, autant pour le porteur que pour les victimes.

Mais pendant qu’elle continuait de faire preuve de tendresse envers lui, venant lui caresser la joue et lui rassurant qu’il n’avait plus à porter ce fardeau seul, Darius réalisa qu’elle avait raison, en fait. Ce n’était pas lui qui risquait quoi que ce soit maintenant qu’elle avait attrapé son gène. Si ça se trouvait, il était peut-être le mutant le plus en sécurité des lieux, se doutant qu’il pourrait se défendre contre son homologue. C’était le reste de la ville qui devait rester sur ses gardes pour le reste de la nuit.

Alors oui, mieux valait vivre cette expérience ensemble, plutôt que de laisser Amalia découvrir ce nouveau monde par elle-même. Son monde, celui qu’il avait parcouru seul pendant des décennies, persuadé que personne ne pourrait réellement l'accompagner. Un brin d'espoir vint soudainement l'apaiser.

“De ma longue existence, jamais je n’aurais cru cela possible,” avoua-t-il de sa calme voix.

Il s’était enfin ressaisi, retrouvant du même coup l’allure posée qui lui était naturelle. Doucement, il vint effleurer la joue d’Amalia en retour, comme une fleur dont il ne voulait pas arracher les pétales par accident. Son inquiétude n’avait pas complètement disparu, mais il faisait un choix conscient : celui de ne pas se laisser contrôler par la peur plus longtemps.

Ses doigts descendirent vers les lèvres de la mutante, puis sous son menton pour le soulever vers le sien. Darius approcha son visage comme pour l’embrasser à nouveau, mais il s’arrêta lorsque leurs lèvres furent sur le point de se toucher.

“Vous voulez que je vous montre ce qu’on peut faire ? Alors suivez-moi,” la défia-t-il en un murmure.

À peine lui laissa-t-il le temps de cligner des yeux qu’il disparut de son champ de vision, laissant la jeune femme seule dans le parc. Il n’était pas parti très loin ; il l’attendait sur le toit du bâtiment face à l’hôtel. Si Amalia partageait toutes ses capacités, elle saurait le retracer.

A nouveau, tu es agréablement surprise par Darius qui se laisse tenter par ce qui se profile à l'horizon. Peut-être a-t-il envie de briser le cercle de solitude dans lequel il réside depuis si longtemps ? Ou peut-être craint-il simplement que tu égorges tous les habitants à un kilometre à la ronde ? Les deux sont probables. Tes lèvres effleurent les siennes presque naturellement mais au dernier moment, le mutant s'éclipse. La partie peut commencer.

Il te faut quelques secondes pour le repérer, faire le tri parmi tous les bruits que tu perçois. Ce n'est pas un exercice très simple avec le brouhaha permanent d'une ville comme New-York mais tu as récemment copié la mutation d'un télépathe, alors tu parviens plutôt aisément à ne pas te laisser submerger par les stimuli autour. Entendre les pensées des gens, existe-t-il un pouvoir plus compliqué à gérer ? Tu as eu des migraines pendant des semaines et en toute honnêteté, tu ne te languis pas de recommencer l'expérience mais malheureusement pour toi, ce n'est pas un choix qui t'appartient. Rien ne t'appartient. « D'ici la vue est magnifique. » Avec tes nouvelles capacités, tu atteins facilement le toit de l'hôtel, retrouvant un Dracula plein d'entrain.

Tu partages son excitation mais quelque chose te perturbe tout de même. « Je me sens à la fois pleine de vie et terriblement affamée. » Quelle est cette faim étrange qui te tort les intestins ? La soif. La soif de sang évidemment. Ton corps ne fabrique désormais plus sa propre hémoglobine. Tu ne peux pas vraiment dire à Darius que tu es au courant de ce contre coup mais tu ne peux pas l'ignorer non plus, toi qui dévore les énergies des autres en permanence pour ton propre plaisir demeurer en forme. Cependant, il te faut attendre que ton compagnon de nuit t'indique la démarche à suivre pour ne pas le contratier, certaine que descendre dans la rue et te servir parmi le buffet humain ne l'enchanterait guère. C'est ça d'avoir des bonnes manières Amalia. Barbant.

Du toit de l’immeuble, Darius observait Amalia de son visage impassible tandis qu’elle tentait de déterminer dans quelle direction il s’était éclipsé. Il avait l’habitude des bruits incessants de la ville et la plupart du temps, il savait les filtrer de sa conscience. Mais il se souvenait du moment où sa mutation était apparue : tous ces stimuli étaient si accablants qu’il avait passé plusieurs jours dans une pièce noire, seul, à tenter de faire taire les sons.

Il se retrouva étonné lorsque la nouvelle vampire le rejoignit quelques minutes plus tard. Elle semblait avoir compris les règles du jeu très rapidement. Trop rapidement, certains diraient même, mais Darius ne voulait pas lancer d’accusations — pas pour le moment. Il lui lança plutôt un regard approbateur, comme pour la féliciter.

“N’est-ce pas ?” dit-il par rapport à la vue. Lorsqu’on finissait par s’habituer à tous les signaux du monde extérieur, on pouvait enfin prêter attention aux détails qui rendait ce don si particulier. Les fleurs du jardin, plus bas, semblaient briller comme de petites lumières colorées, alors qu’elles étaient plongées dans l’obscurité. Un peu plus loin, de l’autre côté de la rue, ils pouvaient observer des clients profiter d’un repas nocturne sur une terrasse ; et s’ils se concentraient un peu, ils pouvaient entendre des couples flirter comme de jeunes tourtereaux.

Malgré ce qu’il laissait parfois paraître, Darius appréciait sincèrement certains aspects de sa mutation. Ce n’était pas entièrement que du noir, il devait l’admettre. Cependant, la remarque  d’Amalia lui rappela aussitôt les raisons de son tourment.

“Je vois que vous n’avez pas hérité que des avantages…” dit-il sombrement.

Incertain de la façon dont il devrait s’y prendre pour lui expliquer cette soif particulière, il évalua ses options. Celles-ci étaient minces : il ne transportait pas de poches de sang avec lui, et pas question de risquer la vie d’un innocent.

“Donnez-moi votre poignet,” exigea-t-il enfin.

Comme il n’avait jamais rencontré un autre comme lui, Dracula était en territoire inconnu. Il allait prendre un risque comme il l’avait rarement fait auparavant, mais cette soirée battait déjà des records. C’en était à la fois excitant et terrifiant.

Il prit le poignet d’Amalia entre ses mains et l’amena doucement à son visage qui, en l’espace d’un instant, s’était transformé pour laisser paraître la créature qu’il était. Il mordit à pleines dents, aspirant l’essence vitale de sa novice pendant quelques secondes avant de se retirer. La plaie se referma aussitôt. Darius releva l’une de ses manches pour offrir ses veines à son tour.

“À vous, maintenant. Veillez à vous retirer avant que mon coeur n’arrête de battre,” ajouta-t-il avec un sourire.

Pour le moment, Darius est plutôt conciliant, il fait preuve de patience et de bienveillance à ton égard mais pour combien de temps ? Nul doute qu'il montrera les dents - dans tous les sens du terme - quand il découvrira le coup monté. Le mutant les montre plus tôt que prévu quand il finit par les planter dans ta chair. Ce n'est pas une sensation désagréable. Y'a quelque chose de plutôt sensuel là dedans.

« J'ai bien l'intention de rafler tous les battements de votre cœur cette nuit. » Encore une fois, tu te montres particulièrement franche avec lui car tu peux te le permettre. Jouant la carte de l'humour pour mieux déguiser la vérité rescapée de tes lèvres. A ton tour, tu attrapes le poignet tendu afin de te repaître du sang qui coule dans ses veines délicieuses et tu ignores, honnêtement, comment tu vas parvenir à t'arrêter. La modération n'est pas ton maître mot, surtout quand il est question de t'alimenter mais c'est sans compter la petite puce dans ta tête qui te file subitement une migraine épouvantable.

Et tu relâches ta poigne pour te détourner de Darius quelques instants. Tu as horreur de ces rappels douloureux qui se déclenchent dès tu ne daignes pas répondre à ton foutu téléphone, volontairement coupé pour l'occasion. Forcée de le rallumer, tu le sors de la poche de ton manteau et découvre les messages/appels en absence. Un long soupir s'échappe de tes lippes. Tu finis par reporter ton attention sur ta proie. « Je dois partir James. » Tu n'as pas particulièrement envie de le quitter alors qu'il te montre l'étendue de son gène X mais le choix n'est pas tien.

Darius resta immobile et silencieux tandis que sa complice avalait goulûment le sang qu’il lui offrait. Il aurait aimé trouver de la sensualité et du plaisir dans cet échange, mais le mieux qu’il pouvait faire était de demeurer impartial. Si son stress post-traumatique avait fini par passer, il ne pouvait effacer de sa mémoire les interminables jours passés en laboratoire. À être torturé et drainé de sang, encore et encore, rien que pour tester les limites de sa mutation. Bien qu’à plus petite échelle, la sensation présente autour de son poignet était similaire à celles de son passé.

“OK, c’est suffisant,” dit-il lorsqu’il commença à se sentir faible et étourdi.

Mais Amalia demeurait attelée à la tâche, si bien qu’il dut l’appeler par son nom en levant le ton. Il venait déjà de goûter à sa propre médecine en la laissant s’abreuver sur lui ; quelle ironie serait-ce que de s’éteindre de cette façon. Heureusement, elle se retira juste avant que Darius ne se résolve à la repousser de force. Quelque chose à voir avec son téléphone qui, une fois allumé, bombarda leurs oreilles de notifications. Sans lui laisser l’occasion de regarder par-dessus son épaule, Amalia se retourna vers Darius pour lui annoncer qu’elle devait quitter.

“Vraiment ?” fut la seule question qui lui vint en réponse.

La sécheresse dans sa voix trahissait la déception qu’il ressentait à l’intérieur. C’est tout ? pensait-il.  Elle flirtait avec lui, jouait avec ses émotions, prenait ce qu’elle voulait — et maintenant qu’il lui avait tout montré, elle en avait assez ? Ou est-ce que les dizaines de messages textes lui rappelaient qu’un époux l’attendait à la maison ? Quoi qu’il en soit…

“Je ne peux pas vous laisser partir dans cet état, Amalia,” l’avertit-il fermement.

La tête lui tournait, tant par les questions qu’il se posait que par le sang qu’il avait perdu. Contrairement aux humains, il ne lui suffisait pas d’attendre que sa moelle osseuse reproduise ses globules rouges — il devait se nourrir, et pas sur Amalia cette fois. Mais plus important encore, il ne voulait pas la quitter avant que la copie de son gène X ne soit effacée.

La réaction de Darius est immédiate, la voix teintée par une fébrile déception. Certainement l'ego écorché par ton annonce, malheureusement pour lui tu n'as pas de temps à consacrer à ces sentiments. Tu devines de là le ronronnement de la puce dans ta nuque, prête à t'anéantir en un fragment de seconde. Peu importe tes privilèges, tu ne défais pas de tes obligations, de tes contraintes. Parce que tu demeures, ni plus ni moins, une marionnette aux mains de Trask. Tu leur appartiens.

« Ne vous inquiétez pas pour moi. » Tu sais très bien ce qu'il veut dire mais préfères l'ignorer et tu t'approches de lui une dernière fois. « Faites attention à vous. » Une mise en garde à prendre au pied de la lettre quand sans prévenir, tu le pousses du haut du toit. Geste brusque et plutôt impulsif face au manque d'option à ta disposition. Hors de question de te battre avec lui, en tout cas pour le moment. Et sans vraiment attendre de l'entendre chuter en bas ou se rattraper à un balcon, tu disparais avec la complicité de la nuit qui t'enveloppe langoureusement, ne manquant pas de rappeler le numéro en absence.

Le point de rendez-vous fixé, tu te diriges là-bas en quelques minutes avec ta nouvelle vitesse. Qu'est-ce que cette mutation te réserve d'autre ? Il te faudra le découvrir par toi-même puisque tu as littéralement largué Darius comme une bouteille lancée à la mer mais tu es certaine que tôt ou tard, elle reviendra vers toi. Et si ce n'est pas le cas, tu te débrouilleras pour venir à elle. Dans le plus grand secret évidemment, n'ayant pas l'intention de révéler cette rencontre à ton superviseur. Bien décidée à en tirer un bénéfice personnel pour une fois. Lequel ne coïncide pas forcément avec les intérêts de l'entreprise.